TEST
The Signifier
Développeur / Editeur : Raw Fury Playmestudio
Support : PC
Après cinq ans de développement, le premier jeu de Playmestudio débarque sur Steam. Présenté comme thriller questionnant la perception humaine et la place de l’intelligence artificielle dans la société, The Signifier ne manque pas d’ambition. Mais le jeune studio s’est-il montré à la hauteur du défi qu’il s’est imposé ?
Lacanisme lacunaire
Vous incarnez Frederick Russell, expert en intelligence artificielle et en psychanalyse, développant le projet Dreamwalker permettant de naviguer dans une reproduction numérique de la mémoire et des rêves d’autrui. Votre projet n’est qu’en phase de développement lorsque l’on vous contacte pour l’utiliser sur une affaire sensible : le décès de Johanna Kast, vice-présidente de GO-AT, leader mondial de l’intelligence artificielle.
À cette fin vous oscillerez entre le monde réel et les reconstructions mémorielles, glanant des indices en résolvants les quelques énigmes parcimonieusement saupoudrées sur les différentes strates de la mémoire. Compte tenu de leur faible nombre, les énigmes sont relativement diversifiées, et bien que n’étant pas toujours d’une grande logique, elles évitent l’écueil d’être trop capilotractées.
Nos escapades dans la mémoire jouissent d’une visualisation pas piquée des hannetons, s’appuyant sur de la photogrammétrie étoffée d'une ribambelle d’effets de glitch et de déformations. On reste parfois espanté par le travail d’orfèvre. Ce rendu original est clairement le point fort du jeu. La présentation léchée continue au travers de la bande son et du doublage, on y reconnaît Richard Epcar, la voix américaine de Batou, bien que quelques fois malmenée par un mixage audio assez fâcheux.
Mais aussi magnifiques que soient les décors, les éloges graphiques s’arrêteront là : les rares personnages et leurs animations alternent entre le correct et l’abominable, nous plongeant aux tréfonds de la vallée de l’étrange. Cette faiblesse semble bien comprise des développeurs qui utilisent tous les stratagèmes possibles pour cacher leurs animations sous le tapis : quand les conversations ne sont pas téléphoniques, l’interlocuteur est dissimulé dans l’ombre, voire tétraplégique et ventriloque (oui, oui).
Rigor Mortis
Si le titre captive par son ambiance souvent grandiose, c’est au prix d’une extrême rigidité. Il n’y a qu’une seule façon de réussir une énigme, les dialogues se contentent trop souvent d’une illusion de choix et le jeu est d’une oppressante linéarité. Si d’un point de vue développement cela fait sens, garantissant que tout le contenu créé sera expérimenté par le joueur, d’un point de vue ludique, la perte d’agentivité est frustrante, rendant l’expérience plus proche d’un parcours scénique que d’une aventure interactive.
Autre point noir notable, le jeu se montre assez chiche en option, ne proposant même pas de modifier les touches ou de menu de sauvegarde digne de ce nom.
Fin de séance, réglez à ma secrétaire.
S’achevant en 3-4h sur un dénouement en queue de poisson, The Signifier ne traîne clairement pas en longueur. S’il ne nous laisse pas le temps de nous ennuyer, il ne se donne pas non plus celui de développer et de conclure son propos. Paradoxalement, il développe son univers de manièere assez dense, usant de coupures de presses, d’émissions radio voire des fausses présentations de projets. Si on prend un certain plaisir à s’y plonger, ces informations ne sont finalement pas utilisées en jeu. Cette contradiction donne l’impression que The Signifier n’est que le prologue d’une aventure plus longue, ou l’enfant prématuré d’un développement arrêté en urgence.
Doté d’une ambiance fabuleuse et atypique, The Signifier enchante autant qu’il frustre. Chaque bonne idée y est contrebalancée par un choix malheureux. C’est d’autant plus rageant qu’on sent qu’il y a un véritable potentiel derrière et qu’il ne manque pas grand-chose pour transformer l’essai mitigé en chef d'œuvre applaudi.