TEST
The Council, épisode 1
par Nicaulas,
email @nicaulasfactor
Vous n'avez pas vraiment besoin de nous pour savoir que la recette Telltale, popularisée en 2012 par la première saison de The Walking Dead, est arrivée à expiration depuis un moment. Aucune des productions récentes ne vaut réellement le détour et même Telltale a fini par l'admettre, le studio ayant récemment annoncé une restructuration et un changement des méthodes et des outils de production. Quant au genre en lui-même, le "Telltale-like", il a fait quelques émules (Life is Strange, par exemple) mais les meilleurs représentants des jeux fortement narratifs se trouvent désormais ailleurs, chez les walking simulator (What Remains of Edith Finch) ou les jeux mobiles (Bury me, my Love ou A Normal Lost Phone). Autant dire que The Council, Telltale-like assumé développé par les bordelais de Big Bad Wolf sous la houlette de Focus et Cyanide, semble débarquer avec un temps de retard. Sauf que le jeu a une ambition : changer certains ingrédients de la recette pour la rendre à nouveau comestible. Pour quel résultat ? Premiers éléments de réponse avec le test de l'épisode 1, en attendant une critique complète en fin de saison.
Gosse de Richet
Louis Mauras de Richet, en plus d'avoir un nom à particule qui peut être un sérieux handicap quand on vit à Paris en pleine Révolution, est un "fils de" : sa mère, Sarah de Richet, est une sommité. Spécialiste des sciences occultes, détective jamais mise en défaut, exploratrice invétérée, elle est surtout la dirigeante de la section française de "l'Ordre Doré", une société secrète d'influence. Après un prologue parisien où l'on apprend à faire connaissance avec la petite famille, un mois s'écoule avant que Sarah ne disparaisse sur l'île du mystérieux Lord Mortimer, qui organise régulièrement des petites sauteries avec le gratin mondial et qui invite Louis pour qu'il résolve l'affaire.Donc oui, The Council est un Telltale-like parfaitement assumé. On y retrouve l'idée générale d'un jeu narratif au format de série télé découpée en cinq épisodes, chacun se terminant de préférence par un cliffhanger. On y retrouve des séquences de point'n click allégé, où il va falloir fouiller rapidement les lieux à la recherche d'une poignée d'indices pour résoudre une petite énigme, ces passages venant ponctuer de longs dialogues interactifs dans lesquels il faut choisir parmi plusieurs réponses celle qui nous semble la plus appropriée. On y retrouve enfin, et surtout, des embranchements narratifs censés infléchir le cours du récit. Il n'y a certes pas les "sauver X ou Y" qu'on retrouverait dans un Walking Dead, il s'agit surtout de suivre tel ou tel personnage ou de se rendre dans tel ou tel lieu en espérant faire progresser l'enquête à son avantage. On attendra la fin de la saison pour juger définitivement, mais il semble que The Council reprenne à son compte l'artificialité du procédé : peu importe vos choix, la trame principale doit retomber sur ses pieds et les principaux rebondissements seront les mêmes. Il n'est pas impossible que, sur le long terme, le fait de nouer des relations avec un PNJ plutôt qu'un autre débouche sur de vraies différences de scénario, mais dans ce premier acte nos quelques essais pour varier les situations ont débouché sur des changements mineurs et sans grande conséquence pour le dénouement de l'épisode.
Les nichons de la duchesse
Techniquement et artistiquement en revanche, Big Bad Wolf et son moteur maison boxent dans une toute autre catégorie que le souffreteux Telltale Tool. Les animations restent perfectibles, la synchronisation labiale part parfois en vrille et un ou deux bugs visibles traînent ici ou là, mais le manoir de Lord Mortimer est un terrain de jeu des plus agréables. À mi-chemin entre manoir anglais, grand luxe franco-italien et lieu du crime bourré de passage secrets d'un Agatha Christie, croulant sous les œuvres d'art et en particulier les tableaux de maîtres et les livres rares, c'est un petit ravissement et on piaille d'impatience à l'idée de découvrir ce qu'il nous cache encore. Mais si les lieux sont enchanteurs, il faut également souligner que le chara-design un poil caricatural n'est pas toujours du meilleur goût. Si on peut comprendre que chaque personnage incarne un archétype pour répondre aux besoins du gameplay (voir plus bas), les potards ont été poussés un poil loin chez certains. Difficile de croire complètement à la sécheresse cynique et obséquieuse du mal poudré sir Holm, ou à la brutalité débile du juge révolutionnaire Péru. Plus grave encore, l’hyper-sexualisation de la duchesse Hillsborrow laisse pantois, tout comme la scène où un autre personnage féminin se retrouve en nuisette prête à tomber, au seul prétexte qu'il s'agit d'une manic pixie dream girl sous acide. On peut comprendre que la séduction soit une arme diplomatique comme une autre, mais il y a peut-être exagération.Mais The Council n'est pas qu'un Telltale avec une meilleure technique. Il a l'ambition d'en retaper la mécanique de gameplay principale, à savoir les dialogues. Ce qui s'articule autour d'une idée toute simple : importer un arbre de compétences qui ne jurerait pas dans un RPG, afin de conditionner l'accès à certaines branches de l'arbre narratif. Pour résumer : on choisit en début de partie une classe (diplomate, occultiste ou détective) qui va donner accès à certaines compétences (par exemple "politique" pour diplomate, "manipulation" pour occultiste ou encore "psychologie" pour détective). Chaque épisode étant divisé en sous-chapitres, à chaque fin de chapitre on gagne de l'expérience en fonction de ses actions, ce qui permet de gagner des points pour améliorer ses compétences. À cela s'ajoute des talents et des traits passifs qu'on gagne au fur et à mesure de l'aventure. Tous ces éléments permettent de se créer des opportunités au fil des discussions, soit directement en utilisant ses compétences, soit en ayant au préalable interagi avec un objet via cette compétence. Chaque utilisation d'une de vos compétences, que ce soit dans un dialogue ou face à un objet, consomme des points d'endurance, matérialisés par une jauge en bas à gauche de l'écran. Des buffs et debuffs peuvent être appliqués ou annulés, notamment via des items récupérables un peu partout. L'inventaire et la jauge d'endurance étant limités, il s'agit d'explorer un maximum et de gérer finement ses ressources pour disposer d'un maximum d'options lors des "confrontations".
Maladresses, retours à l'envoyeur
À intervalles réguliers, il va en effet falloir "battre" un adversaire dans un débat, pour obtenir des informations, sauver sa peau ou récupérer un item indispensable. Un échec dans cette joute verbale, qui se déroule par étapes et dans laquelle on a le droit à un nombre limité d'erreurs, et c'est tout un pan de l'arbre narratif qui se dérobe sous vos pieds. Pour réussir, il faut s'appuyer sur sa connaissance de son "adversaire", et notamment ses faiblesses et ses immunités qu'on découvre petit à petit. C'est notamment pour ça que tous les personnages sont caricaturaux : ces archétypes orientent le joueur. C'est à double-tranchant, parfois malin quand on piège avec délice son adversaire, et parfois douteux lorsqu'une maladresse ou un choix dans les dilemmes génèrent des réactions disproportionnées (quel boudeur ce George Washington...). Autres passages importants qui rythment la progression : les dilemmes. Rester auprès d'un personnage ou aller déjeuner avec un autre ? L'aider ou poursuivre ses propres intérêts ? Cela donne accès à des scènes bien différentes, ce qui fait varier les options de dialogues, y compris lorsque l'histoire retombe plus tard sur ses pattes... ce qui ne change au final pas grand chose. On l'a déjà mentionné et on le redit : en dessous du vernis de l'arbre de compétences et des options de dialogues, la trame narrative de The Council ne tient pas vraiment compte des choix du joueur, du moins dans ce premier épisode.Le jeu a néanmoins le mérite de ne pas pénaliser le joueur et d'utiliser à fond sa surcouche de gameplay pour simuler un arbre narratif dense. La colonne "raté" du tableau récapitulatif des fins de chapitres reste souvent vide, à l'inverse de celle titrée "alternatives" qui liste ce qu'on aurait pu faire différemment. De quoi piquer la curiosité des effets d'un reroll, éventuellement. Tout comme dans les Telltale, tout dépend alors de la qualité d'écriture et de la bonne volonté du joueur à se plonger dans l'histoire. Ici, le début de ce premier acte est encourageant voire enthousiasmant, avec une intrigue débordant de secrets, quelques dialogues percutants et une ambiance cabotine façon "La Règle du Jeu" plutôt bien foutue, avant de prendre un peu trop au sérieux le mystère de la disparition de maman Richet et de faiblir nettement dans la dernière ligne droite, juste avant son cliffhanger prévisible. En comptant 2 à 3 bonnes heures par épisode comme c'est le cas pour celui-ci, on arriverait à 10-15 heures sur la saison, ce qui serait une moyenne haute pour un jeu de ce genre. Le risque étant alors d'abuser des twists faciles, un écueil sur lequel toutes les productions Telltale récentes se sont lamentablement échouées. N'allons pas trop vite en besogne : il reste encore plusieurs mystères à démêler et avec un peu plus de tact dans les embranchements narratifs et un peu plus de variété dans leurs issues, Big Bad Wolf pourrait bien réussir son pari de faire de The Council un jeu Telltale, mais en bien.
Avec une direction artistique et une technique de bon niveau, quelques belles promesses narratives et une couche de gameplay supplémentaire dans le système de dialogue, ce premier épisode de The Council contient tous les éléments pour rénover efficacement une formule qu'on pensait cliniquement morte. Mais il contient également les prémices d'un potentiel échec, avec un ton caricatural sur le fil du rasoir, quelques faiblesses d'écriture et une grosse incertitude sur la densité de l'arbre narratif. Laissons-lui donc le temps de se développer sur une saison complète, et rendez-vous dans quelques mois pour juger du résultat final.