TEST
State of Mind, c'était robot pour être vrai
par Nicaulas,
email @nicaulasfactor
Développeur / Editeur : Daedalic Entertainment
Les allemands de Daedalic Entertainment se sont certes fait un nom avec la saga des Deponia, des point'n click en 2D, mais depuis quelques années ils tentent de se diversifier en multipliant les projets assez ambitieux. On avait évoqué il y a un an le franchement pas terrible The Long Journey Home qui lorgnait du côté des roguelites spatiaux, c'est désormais au jeu narratif State of Mind de passer sur le grill. Un jeu qui ne cache pas son ambition d'être un point de vue pertinent sur les nouvelles technologies et le transhumanisme. Sacré programme.
Quand on avait vu State of Mind pour la première fois à l'E3 2017, il s'agissait de l'intro du jeu et ce n'était pas très intéressant, précisément parce que ce n'était que l'intro du jeu. Quand on l'a revu à l'E3 2018, il s'agissait de plusieurs séquences de gameplay à différents moments du jeu, et pour les expliquer le développeur nous avait spoilé avec le sourire deux des twists du scénario. On avait fait contre mauvaise fortune bon cœur : quand on a la chance de voir des jeux avant leur sortie, cela s'accompagne parfois de ce genre de désagrément. Mais ce qu'on a découvert en lançant State of Mind, c'est que si les développeurs n'ont aucun scrupule à spoiler leur jeu, c'est surtout parce qu'il est atrocement prévisible. On aurait pu commencer ce test en décrivant l'univers et le début de l'histoire, comme il est de coutume de le faire, mais il nous a semblé primordial que vous compreniez une chose : jamais, au cours de ses 8 ou 10 heures, le jeu ne vous surprendra. Quand on a vu les crédits de fin défiler, on imaginait même avoir passé une quinzaine d'heures dans le jeu tant il nous a semblé interminable. Le discours ambitieux s'est effondré sur lui-même, mais au ralenti.
Quand le docteur robot te nique
Reprenons. En 2048, le monde est déchiré par le manque de ressources, les tensions géopolitiques et la place de la technologie dans la vie quotidienne. A Berlin, Richard Nolan est journaliste pour The Voice, un média du futur. Il se réveille à l'hôpital, on lui annonce qu'il a eu un accident de voiture dont il ne se souvient de rien, et en rentrant chez lui il découvre que sa femme et son fils ont disparu. Dans la cité utopique de City5, Adam Newman est journaliste pour The Present, un média du futur. Il se remet d'un accident de voiture dont il ne se souvient de rien, sa femme passe son temps à travailler et n'est jamais à la maison et son fils enchaîne les rendez-vous médicaux à la clinique sans qu'on sache trop pourquoi. Si vous avez un cerveau fonctionnel, je veux dire, suffisamment fonctionnel pour savoir faire des opérations basiques comme lire ce texte ou calculer 2+2, vous avez déjà compris que Richard et Adam sont liés d'une façon ou d'une autre. State of Mind n'avance que comme ça. On nous présente une situation, puis une autre, et l'existence d'un lien entre les deux est appuyée avec une absence de subtilité systématique au point d'en devenir parfois comique.
C'est surtout l'empilement de références mal comprises, mal digérées et mal recrachées (car recrachées telles quelles le plus souvent) qui sape les ambitions narratives du scénario. Les grands thèmes étant les nouvelles technologies et le transhumanisme, on retrouve en vrac tous les classiques et les poncifs de la science-fiction sur ces sujets, mais également des références à notre monde actuel. Soit c'est fait avec de gros sabots, comme quand le grand méchant est un sosie de Steve Jobs et que sa machine de grand méchant ressemble à un gros iPhone. Soit ça ne dépasse jamais le stade de la référence, ce qui rend évidemment les péripéties prévisibles pour peu qu'on ait vu/lu l'œuvre originale. S'inspirer d'une œuvre existante pourquoi pas, mais miser sur le fait que vos joueurs n'aient vu ni Matrix ni Blade Runner pour garder l'effet de surprise intact, ça s'appelle de l'inconscience. Cela crée aussi de drôles d'incohérences, avec des règles qui changent selon les personnages auxquels elles s'appliquent, et plus globalement cela rend l'univers inconsistant. Parce que oui, OK, un TGV Berlin-New York c'est stylé, mais c'est impossible de ne pas se poser des questions du style "où ont-ils trouvé les ressources pour construire un putain de train transatlantique", "pourquoi le jeu laisse penser que c'est un trajet à peine plus long que trois stations de métro", "pourquoi font-ils le trajet retour en avion" ou encore "pourquoi les USA ont supprimé les douanes malgré le contexte géopolitique et les menaces terroristes". Et d'ailleurs, comment la haute technologie s'est autant répandue dans une société où, visiblement, la majorité de la population crève de faim dans les rues ou presque ? C'est genre "acheter à bouffer sûrement pas, je préfère avoir les dernières lentilles de réalité augmentée" ? Bref.
C'est surtout l'empilement de références mal comprises, mal digérées et mal recrachées (car recrachées telles quelles le plus souvent) qui sape les ambitions narratives du scénario. Les grands thèmes étant les nouvelles technologies et le transhumanisme, on retrouve en vrac tous les classiques et les poncifs de la science-fiction sur ces sujets, mais également des références à notre monde actuel. Soit c'est fait avec de gros sabots, comme quand le grand méchant est un sosie de Steve Jobs et que sa machine de grand méchant ressemble à un gros iPhone. Soit ça ne dépasse jamais le stade de la référence, ce qui rend évidemment les péripéties prévisibles pour peu qu'on ait vu/lu l'œuvre originale. S'inspirer d'une œuvre existante pourquoi pas, mais miser sur le fait que vos joueurs n'aient vu ni Matrix ni Blade Runner pour garder l'effet de surprise intact, ça s'appelle de l'inconscience. Cela crée aussi de drôles d'incohérences, avec des règles qui changent selon les personnages auxquels elles s'appliquent, et plus globalement cela rend l'univers inconsistant. Parce que oui, OK, un TGV Berlin-New York c'est stylé, mais c'est impossible de ne pas se poser des questions du style "où ont-ils trouvé les ressources pour construire un putain de train transatlantique", "pourquoi le jeu laisse penser que c'est un trajet à peine plus long que trois stations de métro", "pourquoi font-ils le trajet retour en avion" ou encore "pourquoi les USA ont supprimé les douanes malgré le contexte géopolitique et les menaces terroristes". Et d'ailleurs, comment la haute technologie s'est autant répandue dans une société où, visiblement, la majorité de la population crève de faim dans les rues ou presque ? C'est genre "acheter à bouffer sûrement pas, je préfère avoir les dernières lentilles de réalité augmentée" ? Bref.
Amatrice révolution
Au fil du jeu, on prendra la main sur d'autres personnages, pour des passages plus ou moins courts. Tracy, Lydia, John, différents types de drones, il y a même des chapitres où il faut switcher d'un personnage à l'autre pour pouvoir progresser. Rien de bien folichon cependant, car State of Mind tombe dans un écueil qu'on croyait disparu du jeu vidéo depuis la sortie de What Remains of Edith Finch : c'est un jeu narratif qui ne s'assume pas. Plutôt que de se focaliser sur son histoire chorale et de ne faire intervenir le joueur que pour des décisions narratives, Daedalic préfère saupoudrer tout ça de mini-jeux tous plus soporifiques les uns que les autres, quand ils ne sont pas horripilants à cause d'un personnage aussi souple qu'un robot (xptdr). Ici il faudra cliquer sur des fragments de photos pour recomposer la bonne image, là il faudra sélectionner trois indices parmi une dizaine pour trouver une information, ailleurs on pilotera un drone pour s'infiltrer dans un bâtiment, et de temps en temps des petits puzzles à résoudre entraveront la progression (du genre interrupteurs à activer dans le bon ordre, fabriquer une arme de fortune, etc.). Et comme tous les éléments interactifs sont mis en évidence par des pointeurs (grâce aux lentilles de réalité augmentée, c'est pratique), la compréhension des énigmes est quasi-instantanée, rendant leur réalisation soporifique. Il n'y a rien à sauver là-dedans, ces phases ne faisant que ralentir le rythme d'une histoire déjà sacrément poussive.
Même le "gameplay narratif" reste assez limité. Ce n'est pas tellement le fait que les choix narratifs n'aient pas vraiment d'impact sur le déroulement de l'histoire : il s'agit là d'une caractéristique récurrente du genre, et cela n'empêche pas certains jeux de s'en tirer avec les honneurs voire plus. Mais ces jeux-là ont pour eux un atout de choc : ils sont souvent bien écrits, avec des personnages et des enjeux dans lesquels on arrive à se projeter. Dans State of Mind, outre le fait qu'on a beaucoup de mal à prendre au sérieux les enjeux globaux, on doit se coltiner un personnage principal qui est un effroyable connard. Richard Nolan est un cynique imbu de lui-même, et qui sous couvert de technophobie primaire (alors qu'il utilise toutes les technologies pour son enquête, mais passons) passe son temps à traiter sa famille et ses proches comme de la merde alors qu'il n'arrive jamais à rien sans eux. Et ce n'est pas un set up de départ pour le voir s'améliorer ensuite : jusqu'au bout du bout, Richard Nolan est et restera un gros tas de merde. Dans ces conditions, difficile d'accrocher aux choix qui nous sont proposés, puisque de toute façon la cinématique suivante verra Richard faire n'importe quoi.
Même le "gameplay narratif" reste assez limité. Ce n'est pas tellement le fait que les choix narratifs n'aient pas vraiment d'impact sur le déroulement de l'histoire : il s'agit là d'une caractéristique récurrente du genre, et cela n'empêche pas certains jeux de s'en tirer avec les honneurs voire plus. Mais ces jeux-là ont pour eux un atout de choc : ils sont souvent bien écrits, avec des personnages et des enjeux dans lesquels on arrive à se projeter. Dans State of Mind, outre le fait qu'on a beaucoup de mal à prendre au sérieux les enjeux globaux, on doit se coltiner un personnage principal qui est un effroyable connard. Richard Nolan est un cynique imbu de lui-même, et qui sous couvert de technophobie primaire (alors qu'il utilise toutes les technologies pour son enquête, mais passons) passe son temps à traiter sa famille et ses proches comme de la merde alors qu'il n'arrive jamais à rien sans eux. Et ce n'est pas un set up de départ pour le voir s'améliorer ensuite : jusqu'au bout du bout, Richard Nolan est et restera un gros tas de merde. Dans ces conditions, difficile d'accrocher aux choix qui nous sont proposés, puisque de toute façon la cinématique suivante verra Richard faire n'importe quoi.
Automate-moi ces décors
Alors, si l'histoire n'est pas captivante à suivre ni le jeu plaisant à jouer, que reste-t-il à State of Mind ? Déjà, son esthétique, et on tire notre chapeau aux artistes qui ont bossé sur le jeu parce que c'est un des paris graphiques les plus osés de ces dernières années, et il est réussi haut la main. Tout le jeu est en low poly et flat shading, y compris les personnages, pour "le plus beau jeu de la PSOne" comme dirait certains. Certes, quelques PNJ se retrouvent avec des tronches qui font vraiment PSOne, surtout quand ils ne sont pas bien éclairés, et quelques décors sont assez génériques (surtout vers la fin du jeu). Mais sinon, c'est très joli, avec des décors qui tournent très souvent au porn architectural. Si vous avez une fixation sur les appartements de néo-riches du futur (comme l'auteur de ces lignes), bienvenue chez vous. Plus globalement, s'il n'est pas très bien écrit, le jeu est en revanche bien mis en scène. La composition des plans est soignée, les mouvements de caméras dynamiques, les décors sont souvent bien mis en valeur sans nuire à la lisibilité.
Et puis, parfois, State of Mind a des fulgurances. Le passage avec Lydia à New York fonctionne étonnamment bien, avec une mise en place qui donne envie d'aider le personnage, une définition d'un enjeu simple mais crédible (gagner de l'argent pour payer le loyer), qui débouche sur une séquence déroutante de prostitution virtuelle mettant en scène un client complètement taré. C'est certes vaguement copié sur la scène avec Mackenzie Davis dans Blade Runner 2049 (appliquer une skin virtuelle sur l'être humain réel), et vraiment pas subtil dans son questionnement ("Etes-vous prêts à tout accepter si c'est du virtuel ? La violence est-elle moins grave si elle est mentale plutôt que physique ?"), mais ça fonctionne. Par contraste, cela rend également le reste du jeu terriblement frustrant.
Et puis, parfois, State of Mind a des fulgurances. Le passage avec Lydia à New York fonctionne étonnamment bien, avec une mise en place qui donne envie d'aider le personnage, une définition d'un enjeu simple mais crédible (gagner de l'argent pour payer le loyer), qui débouche sur une séquence déroutante de prostitution virtuelle mettant en scène un client complètement taré. C'est certes vaguement copié sur la scène avec Mackenzie Davis dans Blade Runner 2049 (appliquer une skin virtuelle sur l'être humain réel), et vraiment pas subtil dans son questionnement ("Etes-vous prêts à tout accepter si c'est du virtuel ? La violence est-elle moins grave si elle est mentale plutôt que physique ?"), mais ça fonctionne. Par contraste, cela rend également le reste du jeu terriblement frustrant.
De jolis décors, un empilement de références incomprises et mal recrachées, une ou deux fulgurances, beaucoup d'ennui : State of Mind, c'est un peu comme si Luc Besson se mettait à faire du jeu vidéo. Il y a beaucoup d'efforts et les ingrédients pour faire un jeu correct sont là, mais tout est tellement mal agencé, sonne tellement faux et est tellement poussif à jouer que c'est simplement indigeste et dispensable.