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Sherlock Holmes Chapter One : crimes et châtiments et pruneaux dans la tête

hohun par hohun,  email
 
La saga Sherlock Holmes de Frogwares fait beaucoup de bien aux gamers qui, comme moi, aiment bien être stimulés intellectuellement de temps en temps. Les anciens titres étaient un bon compromis entre puzzles pas trop casse-bonbons et enquêtes prenantes. L’apogée fut atteint avec l’opus Crimes and Punishments, dans lequel les game designers se sont efforcés de proposer des enquêtes ambiguës pour provoquer des cas de conscience chez les joueurs. Une idée de génie qui n’a pas beaucoup évolué depuis.
À vrai dire, que la recette n’ait pas évolué des masses se comprend. Pourquoi changer une équipe qui gagne ? De fait, le gameplay d’enquête du présent opus ne dépaysera pas les joueurs de Crimes and Punishments ou de The Devil’s Daughter. Ce qui change et, dans une certaine mesure, ce qui pose problème, c’est l’enrobage.

L’idée de dépoussiérer le gameplay de la saga n’est pas neuve. En soi, C&P proposait une nouvelle approche léchée, presque standardisée, des gameplays plus « chaotiques » des opus précédents. Et ce fut une réussite, parce qu’il ne s’agissait là que de faire varier une formule de réflexion et d’observation. Puis vint TDD, qui gâta un peu la sauce. Ça se sentait, Frogwares empruntait le virage du jeu d’action (au sens large). Volonté de changement ? Volonté de parler à un plus grand public ? Les deux ? Toujours est-il qu’on se retrouvait avec un jeu plus dynamique, mais dont les nouvelles idées de gameplay étaient mi-figue, mi-raisin. Ce qui ne serait pas trop mal, si je ne détestais pas et la figue, et le raisin. Bref, les innovations de TDD en faisaient un pétard légèrement mouillé.

(J’ignore ici volontairement The Sinking City, auquel je n’ai pas joué suite à ses multiples rebondissements éditoriaux, et qui préfigurait pas mal les « innovations » de SHC1.)
 
SHC1 continue sur la même lancée et adopte tous les travers des jeux modernes. Fini le jeu d’enquête artisanal charmant malgré ses défauts, Sherlock Holmes est désormais un open world (!) avec des DLC (!!) et de la BASTON AU FLINGUE (!!?). Non, attendez, ne partez pas, ce n’est pas aussi mauvais que ça en a l’air, et, si vous le voulez bien, reprenons depuis le début.

Plus sympathique qu’il n’en Adler


Vous incarnez donc un jeune Sherlock Holmes qui arrive sur l’île de Cordona, dans le but de découvrir ce qui est arrivé à sa mère. Car sa mère, voyez-vous, est morte quand il était marmot, et « Sherry » souffre d’une amnésie partielle quant aux événements entourant le décès. Pour découvrir le pot aux roses, il sera aidé de Jon, son ami imaginaire et clin d’œil absolument assumé. Après une première affaire en guise d’introduction, vous voici lâché dans l’open world.

Et parlons-en, de l’open world. De base, foutre un open world dans son jeu est souvent une mauvaise idée, car peu de game designers savent vraiment en faire un élément à part entière du gameplay. Corollaire, on se retrouve souvent avec une grosse map sans intérêt, sans génie niveau level design et avec une certaine dose de copier-coller. La liste est longue comme le bras : GTA 4, LA Noire, les jeux Ubisoft... C’est logique dans le cas des grosses boîtes : c’est un moyen d’augmenter artificiellement la durée de vie à peu de frais et éventuellement de proposer du contenu GaaS à la con. Le choix est-il judicieux dans un AA ? Pourquoi faire un open world chiant quand on peut simplement peaufiner des maps plus petites ? Toujours est-il que je dois saluer l’effort de Frogwares, qui essaie au moins de parsemer la carte de mini-enquêtes pour donner aux joueurs l’envie d’explorer le monde. Sans cela, ce serait une map relativement répétitive, avec notamment des quidams assez peu variés. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : on sent qu’il y a eu du boulot, et chaque quartier a son identité. On note même une certaine attention au détail par-ci par-là, et le jeu à l’énorme avantage de proposer du fast travel au chargement rapide. Cependant, on reste circonspect sur l’utilité finale de la chose. Au fond, rien de ce qui est possible dans l’open world de SHC1 n’aurait été impossible dans des maps individuelles et fignolées aux petits oignons.

Et c’est là le fond du problème de SHC1. On en ressort avec l’impression que beaucoup de temps et d’argent ont été consacrés à des mécanismes secondaires, alors qu’ils auraient pu être mieux employés ailleurs. Tenez, autre exemple, le jeu vous propose de temps en temps des situations de combat : pourquoi ? Qu’est-ce qui motive un tel choix dans un jeu dont l’essence est l’observation et la déduction ? Et si encore c’était un gameplay TPS de ouf, passe encore, mais c’est ici extrêmement répétitif : viser un point faible ou un élément du décor, tirer pour neutraliser, faire un QTE (FFFFUUUUU) pour assommer le criminel. Ou juste lui tirer une bastos dans la tête. Là encore, Frogwares a un minimum conscience du profil de son public et vous permet de sauter ces scènes, mais on reste perplexe.

Communautaire, mon cher Watson


Autre symptôme du mal : l’île comporte un système social. Ottomans, Africains, Européens, ouvriers, pauvres, riches se côtoient dans une colonie anglaise à l’historique mal digéré et sujet à tensions. Conséquence de ces tensions, une caste donnée refusera de vous parler si vous ne paraissez pas du même bord. L’idée, excellente au premier abord, pêche par sa mise en application. En effet, le système de déguisement n’est pas très crédible et amène souvent à des situations à la limite du comique, genre quand vous vous changez devant la personne pour qu’elle accepte de vous parler, ou quand un mec visiblement blanc essaie de se faire passer pour un Africain... Frogwares est ici victime de sa propre bonne idée, car bien évidemment il aurait été de très mauvais goût de faire des blackface ou des brownface (?). Le goût au détriment de la suspension d’incrédulité donc... quitte à faire imiter à Sherlock certains accents et d’autres non. Quoi qu’il en soit, le système de déguisement devient vite lourdingue et on lui aurait préféré, au hasard, un système de réputation par rapport aux diverses castes.

Tout ce temps de développement aurait pu être investi dans une variation des mécanismes d’enquête. Non pas que le système actuel soit mauvais, loin de là ; le cœur de celui-ci fonctionne toujours parfaitement. Seulement voilà, après quelques temps, on ne peut s’empêcher de voir les limites de la formule, car le système fonctionne toujours peu ou prou de la même façon. On aurait aimé une plus grande variété dans les façons d’aborder les scènes de crime ou dans le déroulement de celles-ci.

Toutes ces fausses bonnes idées viennent entacher un jeu qui, à la vérité, reste éminemment sympathique. Le « ton Frogwares » (autodérision, ton cassant et clins d’œil) est encore une fois savamment distillé tout au long du jeu et, franchement, ça fait un bien fou dans un monde vidéoludique trop sérieux. Certaines affaires ont des passages cocasses inattendus, et les deux protagonistes ont un équilibre bien maîtrisé entre goguenardise et gravité. La trame principale, dont les détectives aguerris devineront relativement tôt où elle veut en venir, reste plaisante et bien amenée malgré tout.
Globalement, le jeu jouit d’une bonne qualité d’écriture et aborde de nombreux thèmes de société sans trop de lourdeur, avec des affaires qui sauront éveiller le moraliste qui sommeille en vous. Affaires qui atteignent parfois le paroxysme de l’ambiguïté et qui peuvent engendrer des débats si vous jouez accompagné !


 
Sherlock Holmes Chapter 1, c’est la fable du AA qui se rêvait AAA. Ce faisant, il perd de son charme au profit d’une plus grande accessibilité. On reste dubitatif devant les innovations passables et répétitives, et on aurait apprécié que les moyens utilisés pour celles-ci aient été plutôt investis dans une refonte ou un approfondissement de ce pourquoi on revient toujours vers Sherlock Holmes : les enquêtes. Reste un jeu frais et sympathique, mais au potentiel un peu gâché.
 
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