TEST
RiME
Développeur / Editeur : Tequila Works
Le jeu vidéo a ceci en commun avec le cinéma ou la littérature, c'est que dès qu’on voit sur la jaquette un mec pointer un flingue, on sait à peu près tout de suite à quoi s’attendre. Mais le jeu vidéo a au moins une autre image évocatrice bien à lui : celle d’une silhouette frêle qui court, seule, au pied d’un immense bâtiment. Alors, quand on retrouve cette image-là sur la jaquette de RiME, on croit savoir ce qui va se passer en lançant le jeu. Et on ne croit pas si bien dire.
Crédit illustration : Tohad.RiME s’ouvre sur un enfant perdu (Ico) au bord d’une plage (Ico aussi), sous un soleil éclatant et des nuages de dessin animé (The Witness). En avançant entre les ruines blanches gravées de sillons étranges (Zelda Wind Waker) et peintes de fresques qui représentent l’histoire du jeu (Journey, Abzû), entre les fines arches de grands ponts (Shadow of the Colossus), une musique “émotion” un peu béate vous accompagne en permanence (Journey) et une silhouette encapuchonée de rouge (Journey) apparaît au loin mais disparaît quand vous vous en approchez (Half-Life 2). Après avoir grimpé des rebords (Ico, Prince of Persia Sands of Time) et poussé des caisses (quasiment tous les jeux vidéo du monde), vous vous approchez de la gigantesque structure qui fait office de repère visuel en hauteur et d’objectif ultime (Journey), dans laquelle des statues de gens prostrés (The Witness) se réduisent en poussière au toucher (Super Metroid), et un escalier en colimaçon (Ico, SoTC) vous conduit devant un long corridor avec une lumière aveuglante au bout (Journey), et tout ça avant de croiser un grand oiseau qui vous harcèle et vous force à courir d’abri en abri (Journey), des esprits errants que la lumière permet de neutraliser (Wind Waker, Inside, Heart of Darkness), des passages non-euclidiens pour vous désorienter (Antichamber, Super Mario 64) et euh, aller plus avant serait du spoil, mais n’en avons-nous pas déjà trop dit ?
Il y a quelques semaines, le développeur de Vlambeer, Rami Ismaïl, publiait sur son blog un faux test du dernier Mario Kart, en réalité une parodie qui fustige les comparaisons fallacieuses dont les critiques pressés raffolent souvent. Mais ici, il n’y a pas d’autre manière de le dire : RiME ressemble énormément à tout un tas de jeux qui l’ont précédé, la majorité d’entre eux épousant le même format (le plateformeur cinématique, je sais je suis désolé) et adoptant les mêmes thématiques (que les critiques pressés désignent comme “poétiques”, “oniriques”, voire “non-violentes” quand ils sont vraiment très pressés).
Pourtant, de l’aveu-même des créateurs madrilènes de Tequila Works, RiME n’était pas censé adopter cette forme-là lorsque son développement a commencé il y a cinq ans. Les devs ont dû recourir à une technique bien connue depuis que Valve a fait partager ses commentaires sur Half-Life 2, le “design par destruction”, qui a consisté à soustraire des mécaniques de gameplay comme le monde ouvert, la survie, les combats… et garder un noyau qui, finalement, ressemble pas mal à la promesse visuelle de la jaquette du jeu : un plateformeur cinématique (oui oui bon et alors) dans un univers “poétique”. On fait donc dans RiME ce que vous avez déjà fait dans les jeux de Fumito Ueda et de thatgamecompany : avancer le long d’un couloir plus ou moins habilement déguisé, résoudre des énigmes (très) sommaires, manipuler des mécanismes (pas très) divers, et surtout, notion cruciale du plateformeur cinématique (ok vous allez arrêtez de vous foutre de ma gueule tout de suite quand vous aurez trouvé mieux comme nom là vous aurez le droit de la ramener sérieux ça m’saoule), raconter une histoire. Une belle histoire forcément poétique et mélancolique et tragique, parce qu’on joue un petit enfant seul sur une île, parce qu’on a des violons dans la bande-son, parce qu’on revendique Miyazaki (vous voulez pas revendiquer Bertrand Blier pour changer des fois ?), et parce que si vous avez déjà joué à un jeu de Ueda ou de thatgamecompany, ou même à n’importe quel jeu dont on a dit du bien du scénario y compris six mois après sa sortie (ce qui inclut The Last of Us mais exclut Titanfall 2 par exemple), vous savez que rien n’émeut les gens plus que l’émotion. Les scénarios préférés des critiques pressés sont tous empreints de mélodrame prévisible, et quand vous scrutez la jaquette de RiME, vous apercevez un gentil petit renard qui accompagne l’enfant, et vous risquez alors de vous poser la même question que Tom Baines, journaliste du site Thumbsticks : est-ce que le renard va mourir ? Est-ce que vous voulez vraiment qu’on réponde ici à cette question ?
Au moins RiME est un jeu honnête. Son déroulement n’est pas implacable, il y a des moments où on ne fait ni ne voit grand-chose, d’autres où on croit qu’il va se passer un truc énorme mais en fait non, et dans l’ensemble, le jeu nous demande de faire peu mais nous le fait faire lentement. Ce rythme pesant, c’est celui des rebords sur lesquels le héros se déplace un pied après l’autre, c’est celui des passages aquatiques où il faut nager de bulle d’air en bulle d’air (Sonic the Hedgehog), c’est celui des lieux où il faut avancer à un endroit, appuyer sur un bouton, et recommencer à deux endroits différents pour passer au lieu suivant. RiME est un plateformeur cinématique à l’ancienne. Il a besoin de l’imagination du joueur pour s’envoler, sans quoi il déroule sa partition comme un album de tribute band. Nous supposons que ce gameplay dilué est peut-être une conséquence du “design par destruction” qui a donné sa forme finale au jeu. RiME ne fait pas croire qu’il est plus complexe qu’il ne l’est réellement : ses mécanismes ne sont rarement employés plus d’une ou deux fois, ses personnages restent résolument muets jusqu’à la fin, laquelle lève tout doute sur les mystères de cette île qui sert de décor à l’intégralité du jeu. Et c’est certainement un beau décor, même s’il ne laisse que très peu de place à l’exploration (forcément, après cent heures de Breath of the Wild, on a tendance à être un peu déréglé de ce côté-là) : sa patte visuelle ne présente aucune faute de goût, et son cycle jour-nuit, quand les ombres se découpent sur les rochers méditerranéens, est un des plus colorés, un des plus savoureux qu’ils nous ait été donné de voir dans un jeu de ce style.
Clairement, c’est sur sa partie visuelle qu’on pardonne le plus à RiME son parfum de déjà-vu. Mais il est plus difficile de passer l’éponge sur son gameplay timoré et son intrigue mélodramatique, des choses qu’on a déjà vues dans d’autres jeux, en mieux. Certes la progression dans RiME est sans douleur, de par la maîtrise de son format de plateformeur cinématique. Mais tout efficace qu’il soit, ce format est aussi un peu éculé ; il mérite qu’on repousse ses limites, mais ce n’est pas ce que RiME fait.