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Omensight : en quête d'enquêtes
Développeur / Editeur : Spearhead Games
Personnellement, je m’exaspère année après année du manque de jeux d’enquête dans l’industrie du jeu vidéo. L’enquête policière est un genre qui a pourtant beaucoup à gagner d’une infusion d’interactivité, notamment dans un contexte ludique. Imaginez un bouquin d’Agatha Christie où vous devriez vous-même faire avancer l’intrigue en cherchant des indices et en interrogeant les protagonistes : quoi de plus motivant ?
En fait, on peut trouver plusieurs raisons à ce désert ludico-policier, la raison la plus évidente étant la difficulté de mettre en place un système narratif qui peut ne pas récompenser le joueur en fin de partie (par exemple, si celui-ci se trompe de coupable), et la difficulté, encore plus grande, d’inscrire cet aspect dans une narration qui court sur plusieurs heures sans qu’elle devienne incohérente ou « peine perdue ». En effet, qui a envie de faire progresser un scénario pendant 10 heures pour se voir dire que ses décisions ne lui ont pas permis de terminer le jeu correctement ?Pour autant, certains studios ont trouvé des parades pour limiter les inconvénients inhérents à ce genre. Frogwares d’abord, avec leur savoureuse saga Sherlock Holmes, qui découpent les jeux en diverses enquêtes, limitant ainsi la lourdeur des mauvaises décisions. Ils ont aussi eu la très bonne idée de déporter le choix de la frustration sur le joueur, qui est libre de punir ou d’absoudre le coupable qu’il a désigné et de choisir s’il veut, après coup, savoir s’il avait raison ou non.
Et puis, il y a des jeux comme Omensight, qui font le choix de masquer habilement la linéarité d’un scénario sous un glaçage de jeu d’enquête et de narration découpée.
Si le temps m'était conté
Dans Omensight, vous incarnez la Messagère, une entité qui ne se manifeste que quand le monde est en crise. Lorsque vous apparaissez, une guerre sanglante fait déjà rage entre les Pygariens et les Rodentiens. À peine prenez-vous le temps de faire la connaissance de quelques protagonistes que déjà le monde est détruit par un Dieu maléfique. C’est ballot. Vous allez désormais devoir revivre la dernière journée de chacun des protagonistes plusieurs fois afin de comprendre ce qui s’est passé. Car la Messagère n’est pas apparue sans raison : la grande prêtresse Vera a été assassinée et son âme est introuvable. Or, son âme doit retourner à l’Arbre de Vie pour recommencer le cycle et empêcher l’apparition du Dieu.
Nous voici donc dans un jeu qui accorde une grande importance aux revisites. Il n’y a que 5 endroits sur la carte du monde et, suivant ce que l’on décide de faire avec le personnage choisi durant sa dernière journée, on va créer diverses interactions et dialogues qui vont faire progresser l’enquête et changer drastiquement les événements. Cependant, on ne choisit pas où l’on veut aller ; cela dépend entièrement du protagoniste qu’on accompagne. Certaines journées sont donc plus courtes ou plus faciles que d’autres (il est plus facile d’entrer dans la prison quand on est accompagné de l’Empereur !), mais toutes finissent de la même manière : le monde est invariablement détruit.
Chaque fois que le jour se termine, vous avez accès (ou pas, selon le niveau de difficulté choisi) à un tableau d’indices qui se remplit des informations glanées. Celui-ci expose les motivations et agissements des divers personnages, les remarques diverses relatives au contexte ainsi qu’une frise chronologique qui détaille les événements qui ont conduit à la mort de Vera. Et lorsque vous atteignez un événement clé du scénario, celui-ci se manifeste sous la forme d’un Omensight, une espèce de souvenir portable que vous pouvez montrer à chaque personnage et déclencher de nouveaux événements.
Les temps t'acculent
Dans la pratique, l’aspect enquête fonctionne bien parce que le scénario est assez travaillé et que le mystère s’épaissit pendant une bonne partie du jeu. Il y a également une certaine ingéniosité au système d’Omensight et de revistes car cela permet de découvrir les diverses facettes et motivations des personnages selon le souvenir qui leur est présenté, et ainsi d’éviter l’écueil d’avoir des personnages trop peu nuancés (l’apport d’un certain Chris Avellone en tant que conseiller scénario a pu jouer).
Pour autant, il ne faut pas oublier qu’Omensight tente de porter une double casquette de jeu d’enquête et de jeu d’action. Il y a une partie jeu d’action dynamique à la Devil May Cry qui est, à la vérité, plutôt bien faite, avec des coups spéciaux à débloquer et des améliorations de compétences et d’armes. Le combat est fortement basé sur l’esquive et sur les combos et donne lieu à des affrontements très fluides.
Dans tout cela, on devinera facilement que la réussite ou l’échec du jeu va tenir dans l’équilibre entre backtracking et sensation de progression. En d’autres termes, est-ce que le gameplay arrive à contenir la répétitivité inhérente à ce genre de jeu ? Omensight reste un jeu indépendant, ce qui suppose une limite d’ambition et de moyens, et essaie malgré tout de faire cohabiter deux genres. Les limites sont, de fait, assez évidentes : le nombre de niveaux étant restreint, on passe beaucoup de temps dans les mêmes endroits en débloquant quelques mini-embranchements pour obtenir du lore supplémentaire sur les personnages. Il y a, en réalité, peu d’opportunités de manquer une partie du scénario, et les embranchements scénaristiques importants sont symbolisés, dans la journée d’un protagoniste, par ce qui est qualifié d’ « instant de décision critique ». Il s’agit du moment où vous décidez, pour le protagoniste X qui vous accompagne, de combattre ou de montrer l’omensight à l’antagoniste Y, ce qui va changer la suite de la journée (suite qui prend en général 10-15 minutes). Le jeu permet au joueur, une fois le premier embranchement passé, d’aller directement à cet instant critique pour découvrir le deuxième embranchement de la même journée.
Bas les Majora's masques
C’est en cela que le système d’enquête trouve ses limites, et que je le qualifiais par ailleurs de « glaçage ». Il est difficile de manquer des indices parce qu’on ne doit pas les chercher à proprement parler, comme dans un Sherlock Holmes. Ils sont quasiment tous glanés dans les dialogues et il suffit donc de faire suffisamment de revisites pour explorer toutes les options de dialogue. Sans abuser des backtracks, j’ai fini le jeu avec un seul indice manquant en moins de 10 heures. Vous pourriez vous dire que c’est peu, et vous auriez tort ; on sent que les créateurs ne sont pas des rigolos et ont bien jaugé leur gameplay pour éviter qu’on ne s’en lasse. D’ailleurs, le jeu sous-entend à quelques reprises que le nombre de jours est limité, pour vous pousser à le finir aussi vite que possible. Dans la pratique, j’ai fini le jeu à 99% en une vingtaine de jours sans arriver à cette limite, à supposer qu’elle existe vraiment.
On pourrait penser que la nature saccadée du jeu se fasse au détriment de la narration. Ce n’est pas le cas, et le scénario distille bien son mystère plus ou moins jusqu’au bout. À vrai dire, le scénario est épais mais n’est pas un casse-tête ; il se serait d’ailleurs parfaitement accomodé d’une structure linéaire classique. On ressent même le retour dans le temps parfois plus comme un gimmick qu’autre chose, parce que votre intervention change à la fois le caractère et les actions d’un personnage, et les interactions conséquentes avec les antagonistes ne sont pas assez fréquentes pour imprimer une sensation de changement radical. Mais là encore, ce n’est pas nécessairement le but, et d’ailleurs la conclusion un peu surprenante du jeu nous montre bien que les créateurs ont bien cerné leur propre univers et ce qui doit en découler. Au final, on quitte le jeu avec une certaine satisfaction et peut-être, à la limite, une petite déception sur quelques rares points trop peu exploités du scénario.
Pour peu que vous ne soyez pas réfractaire à la répétitivité inhérente à ce genre de gameplay et à un effet couloir relativement prononcé, il y a toutes les chances qu’Omensight vous plaise. Mignon sans être niais, accessible sans être simple, le jeu séduit et gère sa narration assez bien pour rassasier l’esprit en moins de dix heures.