TEST
Marvel's Avengers
En guise d'introduction, j'aurais pu commencer par un parallèle. J'aurais pu vous raconter ma rencontre avec Monsieur David Brevik, un après-midi de Gamescom 2012 dans l'une des chambres capitonnée du Radisson Blu Hotel. De sa présentation la voix toute chevrotante d'un certain Marvel Heroes qui aura le succès qu'on lui connait, avant de sombrer, faute de joueurs pour le faire vivre... J'aurais pu vous parler de mon amour pour le renouveau de Deus Ex porté par un Eidos Montréal en grande forme, avant qu'on les condamne aux travaux forcés... Mais finalement non, je ne peux défaire de mon esprit mes heures d'errances passées sur cette dernière superproduction AAAA dopée à la testostérone.
Alors tant pis pour vous et tant pis pour nous, on va juste attaquer bêtement ce test de Marvel's Avengers. On ne peut pas dire qu'on nous a pris en traitre. Entre une communication hésitante jusqu'à sa sortie, une unique démo E3 peu convaincante et un plan marketing "à la Bethesda" qui a tout fait pour nous donner envie de fuir, ce jeu Marvel là nous a clairement signifié ses intentions dès le départ. Malgré ça, peut-être est-ce dû à un état asymptomatique du COVID ou juste à l'envie d'être surpris par un triple A en 2020, je me suis pris à rêver qu'il y avait peut-être quelque chose à tirer de la nouvelle collaboration entre Crystal Dynamics et Eidos Montréal. Ne serait-ce que dans sa campagne solo, après tout c'est le coeur de métier du studio californien ! Alors je me revois encore laisser de côté la brique multijoueur de l'Initiative Avengers pour démarrer son mode histoire, extatique. Entraperçue dans la beta, Kamala Khan est la véritable star de ce premier volume et elle fait tout ce qu'elle peut pour sauver les meubles. On la découvre dans une séquence sur rails alors qu'elle participe à un concours de scénarios de comics organisé par le SHIELD le jour du A-Day.A bord du Chimère, le vaisseau amiral alimenté par une source d'énergie expérimentale testée par le scientifique de l'AIM George Tarleton, on rencontre un à un les cinq Avengers (de cet épisode). On en profite également pour récolter quelques-uns des collectibles qui seront, ô surprise, l'une des ressources bonus du pendant jeu-service. Ouais, ça commence mal. Enfin voilà, 10 minutes et trois explosions plus tard, on repart à nouveau sur le pont de San Francisco se taper la pénible séquence de QTEs qui présente les grandes lignes du gameplay, mais aussi un casting de starlettes de telenovelas, on y reviendra, et l'un des 3 super-vilains (sic!) du jeu.
Passée la douloureuse, le réacteur du Chimère explose entraînant avec lui la destruction d'une grande partie de la ville, mais aussi la dispersion d'un gaz transformant une partie des habitants en Inhumains, des mutants aux pouvoirs surnaturels. Une justification idéale des pouvoirs de Kamala que l'on retrouve quelques années plus tard affublée d'une condition qui lui permet d'allonger ses membres à volonté. Sur les traces de la résistance des Inhumains donc, elle rencontrera Bruce Banner/HULK et ils reformeront progressivement l'Initiative avant de mettre un terme aux agissements de MODOK, le nom de scène d'un Tarleton qui a visiblement pris la grosse tête suite aux évènements du A-Day.
All GaaS No Brakes
Bref, rien de nouveau pour ceux qui suivent les comics depuis toujours. Les scénaristes avaient le champ libre, mais ils ont préféré commencer petit pour développer le lore dans les pass saisonniers et potentielles suites. Le quotidien de cette dizaine d'heures de campagne c'est donc du bourre-pif sur rail contre les sbires de l'AIM dans des missions scénarisées, une poignée d'épreuves tutoriels dans la peau de chacun des Avengers (histoire de nous présenter leurs gameplays à grand renfort d'encadrés explicatifs qui mettent le jeu en pause tout le temps) et une série de missions de haut niveau liées aux histoires personnelles des superhéros. Surtout, le jeu lève progressivement le voile sur ce qui nous attend dans son monde multijoueur. Qu'on nous propose d'aller délivrer des Inhumains, de dénicher une pièce de rechange pour l'épave du Chimère ou de pirater les installations de l'AIM, tout est prétexte pour nous amener petit à petit vers le contenu générique et propice au grind de l'Initiative Avengers.Qu'on se le dise, on est ici loin, très loin du spectaculaire d'un Shadow of The Tomb Raider et ceci pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la tronche de ses protagonistes. Les Avengers ont tous des têtes d'héros lambda tourmentés aux sourires impeccables, sans aspérités. Impossible de s'identifier à ces avatars-là. Ca ne fonctionne juste pas.
Seule Kamala tranche un peu avec le reste du groupe, même si on retrouve dans ses expressions faciales les mêmes rictus que Lara Croft il y a 2 ans. La direction artistique des ennemis est toute aussi générique : des robots, des soldats encapuchonnés et de plus gros robots encore. Parlons maintenant du level-design. Pour un jeu co-développé par les géniteurs de Deux Ex: Human Revolution, les niveaux sont d'une platitude incroyable. Alors oui, les espaces sont gigantesques, mais ils restent désespérément vides de contenu. Et de toute façon, avec 5 zones géographiques différentes, le jeu ne fait pas de gros efforts pour nous offrir des missions palpitantes. On traverse ces grands espaces en ligne droite jusqu'à un checkpoint, là on retrouve un poil de verticalité (principalement pour aller chercher des ressources ou ouvrir des coffres d'équipement en hauteur), des scripts font popper des ennemis, s'en suit un combat puis on se dirige vers un autre point d'intérêt plus loin, on déclenche une énième action contextuelle pour déverrouiller un ascenseur qui nous amène dans trois pauvres couloirs qui conduisent inévitablement à une grande salle et à un objectif ultime : sauver des Inhumains, éliminer un groupe de soldats d'élite, hacker un serveur de l'AIM, détruire un réacteur ARC...
Le système de jeu lui déploie une intelligence folle pour donner l'illusion du compliqué alors que finalement, on n’est pas si loin que ça de la prise en main d'un Marvel Heroes. Chaque Avenger dispose de coups légers et puissants ainsi que 3 pouvoirs uniques qui vont s'améliorer via plusieurs "arbres" de compétence. Le premier permet de débloquer de nouveaux mouvements (combos de coups, coups sautés, en pleine course, etc.). Le second se concentre sur les buffs liés aux pouvoirs. Enfin, l'arbre de maîtrise débloqué à partir du niveau 15 augmente les capacités des pouvoirs du héros, d'ailleurs il n'a d'arbre que le nom, car on déverrouille juste le choix entre 4x3 augmentations. Surtout, le jeu a cela d'agaçant de démultiplier les termes compliqués et les mots sous copyrights pour nous perdre à chaque instant un peu plus dans le labyrinthe de ses menus.
Vous pensez que j'exagère ? Allez donc vous lire les DIZAINES de pages d'explication sur ses systèmes de jeu sur le blog officiel. Tant est si bien qu'on avance un peu à tâtons, on prépare sa build au pif et on se rend vite compte qu'à part offrir plusieurs charges de pouvoir, on ne voit pas trop de différence sur le terrain.
Marvel Zéros
Eh oui, car évidemment, les gains à chaque niveau et à chaque équipement revêtu sont superficiels, tout ça c'est juste pour vous faire grinder toujours plus de barda. Des pièces d'équipement que vous allez ensuite mettre à jour en craftant des niveaux de puissance à l'aide des ressources glanées dans les niveaux et en recyclant le matos inutilisé (ou en passant directement à la caisse). Vous avez joué à Destiny, Anthem ou Warframe ? Vous connaissez la formule. Et ne comptez pas personnaliser votre héros à l'aide de ces pièces d'équipement puisqu'ici tout est artificiel, on s'équipe de nouveaux muscles, de bracelets invisibles et autres artefacts impalpables. Les tenues iconiques, elles, se débloquent en grindant les battle pass. Alors au lieu de créer son petit héros sur mesure, on se rabat donc bien vite sur la fonctionnalité permettant d'équiper automatiquement le meilleur matos, et on recycle le reste en boucle... En ce qui concerne le gameplay à proprement parler, les combats sont bourrins, brouillons, les objets à ramasser se détachent difficilement des potions de vie et le système de parade et d'esquive qu'on nous vante dans des tutoriels en pagaille en début de partie est particulièrement frustrant, la faute à des indices visuels mal calibrés.Si les héros ont chacun leurs pouvoirs, ils ont aussi une maniabilité différente et à choisir, on préfère Ms. Marvel ou Black Widow, beaucoup plus agiles lors de l'aggro de dizaines d'ennemis que ce gros lourdaud de Hulk où l'anecdotique Iron Man qui compense sa faible puissance de feu par le vol stationnaire. Par contre ils ont tous de la patate dans les bras et on sent plutôt bien les coups portés aux ennemis.
Si on peut reconnaître quelque chose à Marvel's Avengers, c'est sa capacité à préparer le joueur au tout multijoueur pendant la campagne en imbriquant ses systèmes de loot à gogo, de boutique aux tarifs exorbitants, d'immanquables challenges quotidiens, de missions éclairs et de progression lente. Tant et si bien qu'on ne voit plus la différence une fois l'Initiative Avengers engagée. Reste le contenu haut niveau qui se débloquera au fil de la montée en niveau : Les Ruches, des donjons aléatoires sur plus d'une dizaine de niveaux séparés par des ascenseurs (circulez y'a rien à voir à part la même chose que précédemment en plus long et en plus dur), un abri secret à trouver et des combats de boss contre les super sacs à PV déjà-vus dans le mode histoire : Taskmaster et Abomination. Enfin ça c'est sur le papier parce qu'je vais vous avouer un truc, j'ai pas eu le courage d'aller jusqu'au niveau 50. Par contre Feed lui avait visiblement du temps à perdre. Vous trouverez son avis sur le end game en plus d'un petit ressenti perso un peu plus loin dans le test.
La myriade de problèmes techniques a en effet eu raison de notre patience. C'est bien simple, le jeu en est plâtré dans sa version PC : chargements interminables pour tout, tout le temps, Steam Streaming qui pète les textures, crashs récurrents et BSODs dès qu'on passe les textures en très élevé. Vous en voulez encore ? Baisses de framerate inexpliquées, bugs de collision qui empêchent certains objectifs de se valider, clipping qui fait régulièrement tomber les personnages dans le décor, pluie figée devant le sol, ennemis qui vous tuent en un coup sans raison valable, etc. On a rarement vu un AAA aussi cassé à sa sortie. Si on ajoute à cela les scripts qui ne se lancent pas dans la campagne, le matchmaking à la ramasse, des menus qui ne marchent pas, les missions qui terminent brutalement une fois l'objectif rempli même si y'a encore du loot ou 30 ennemis dans la salle qui se retrouvent figés, l'impossibilité de quitter le menu d'attente pour une mission ou de retourner au Chimère sans revenir au menu principal... Au bout d'un moment, trop c'est trop, malgré les deux premiers patchs. Comble de l'ironie : la production arrive même à se planter sur sa bande originale orchestrale. Partie intégrante de l'ambiance épique du Marvel Cinematic Universe, la musique de Bobby Tahouri est ici étouffée, fade, insipide et on oublie ses thèmes aussi vite qu'on enchaîne ses missions sans saveur.
L'avis de Feed
En ce qui me concerne, j'ai beaucoup apprécié la campagne, qui pour moi est parmi les meilleures dans les jeux Marvel, aux côtés du Spiderman d'Insomniac Games. Les héros sont attachants, humains, et il y a des arcs de construction pour la plupart d'entre eux. Au bout d'un moment, ces ersatz du MCU me semblent même plus attachants. Pour moi, la campagne est une très bonne introduction à l'univers Marvel en général, et à cet univers Marvel en particulier.
En ayant monté les personnages jusqu'au niveau 50 et équipement au niveau de puissance 150, voilà le constat : les missions montent en difficulté en fonction du niveau de l'équipement. Donc au niveau de puissance 37, on a des missions 40, au niveau de puissance 130, on a des missions 135. Autant dire qu'on n'a pas l'impression de devenir plus fort vu que les ennemis deviennent plus forts eux aussi. Ce qui fait la différence : les compétences offertes par l'équipement de plus haut niveau, qui étoffent un peu le tout. Mais l'UI mal fichue n'aide pas à s'y repérer facilement. Mêmes commentaires que plus haut sur la difficulté à naviguer dans les arbres de compétences. On constate aussi des arbres "morts", avec 3 skills de déplacement débloqués dès le début par exemple. En revanche, un perso lvl50 a à sa disposition un sacré arsenal de compétences. Et les choix de maitrise permettent des builds intéressants. A ce niveau-là, on sent vraiment une différence.
Maintenant, passée la campagne, ça devient plus problématique. Il y a comme dit plus haut très peu de variété dans les environnements. On se retrouve souvent dans des bases/bunkers souterrains au design similaire, ce qui est dommage car quelques cartes ressortent, les grandes zones ouvertes avec des objectifs secondaires; et en particulier celles avec des environnements urbains. Les ennemis sont un poil variés d'après le Codex. Le problème c'est qu'en jeu, ils ne ressortent pas. Et comme les silhouettes sont similaires, un soldat ressemble à un autre soldat, un robot ressemble à un autre robot. Au final, à part les "gros robots", c'est soit un ennemi qui te fonce dessus, soit un ennemi qui a un bouclier, soit un ennemi qui te tire dessus (au sol ou en l'air). On arrive au problème de la variété au sens large. Pour un jeu dans un univers aussi immense, c'est dommage de se limiter à l'AIM, avec ses unités extrêmement similaires alors qu'on est en droit d'attendre un paquet d'autres factions (Hydra, HAND, Maggia, Kree, Skrulls, etc.). On peut se dire que ça arrivera après, mais ça va être du travail d'ajouter des factions entières et des environnements qui vont avec.
Au niveau de la difficulté tout va bien en campagne, mais dans l'après, et avec la difficulté qui augmente, il y a des situations un peu ubuesques, où on se retrouve sous des tirs nourris par une demi-douzaine d'ennemis pendant qu'une autre demi-douzaine nous enchaine d'attaques imbloquables, ce qui invalide toute la mécanique de parade/contre et on se retrouve limité à l'esquive... jusqu'à ce qu'un ennemi nous octroie le debuff empêchant d'esquiver... Il y a également ces ennemis qui vous touchent et vident votre jauge de pouvoirs spéciaux, cette jauge qu'on garde précieusement pour les grosses occasions, car à moins de spécialiser son build, les cooldowns sont assez longs. Et en soi, je conçois qu'il faille équilibrer un jeu. Mais ce qui est important aussi, c'est de ne pas avoir (trop) de dissonance ludo-narrative. On est censé incarner une bande de superhéros et ça fait bizarre de voir Hulk se faire interrompre à répétition par 2 robots, alors qu'eux peuvent continuer d'attaquer pendant qu'on les frappe. Ou bien de tirer sur un ennemi 10 fois avec des lasers de la mort, mais un tir de blaster sorti de nulle part nous enlève 80% de notre vie. La lisibilité suspecte de l'action contribue à rendre ce tout frustrant. Ca n'est pas une difficulté juste comme dans les Dark Souls, c'est de la difficulté bête et méchante en augmentant les curseurs de vie et de dégât des ennemis, et où la moindre faute est punie.
Et à ce niveau, on perd la fantaisie d'incarner un superhéros, ce qui rappelle The Division, où on est censé jouer un super agent d'élite, mais où - à haut niveau - on se fait dégommer en deux secondes par un punk en tee-shirt qui marche bourré dans la rue en balayant son uzi. Et ici, la fantaisie devrait permettre plus de variété dans les persos: Hulk qui a de la super armure dans ses attaques, Cap qui devrait pouvoir bloquer les attaques imbloquables, etc.
Enfin, tous les problèmes techniques mentionnés plus haut peuvent (et doivent) être résolus, mais ils sont inacceptables pour la sortie d'un jeu. Tous ces problèmes d'équilibrage peuvent également être corrigés, mais vont-ils l'être ? Quant au manque de variété, c'est un souci de contenu et ça, ça prend du temps. Espèrons qu'ils ont beaucoup de monde qui bosse dessus.
On espérait secrètement que le savoir-faire de Crystal Dynamics en matière de solo grand spectacle allait sauver le soldat Captain America. Dans les faits, on observe avec regret que l'histoire ne décolle jamais vraiment, malgré une belle prestation de Kamala dans les trop nombreuses cinématiques. Il se passe malheureusement plus de choses en 3h d’Avengers: Endgame qu'en 12h de cette campagne sur rails. Et ensuite ? On se heurte au mur tout en ligne qui n'a visiblement pas compris ce qui ne fonctionnait pas chez la concurrence. Force est de constater que tout le budget est visiblement passé sur la création d'environnements, gigantesques aujourd'hui pour accueillir le contenu de demain, en plus de tout le fatras de la boutique en ligne. On a déjà vu de belles remontadas en matière de jeux-services : Marvel Heroes justement, Rainbow Six: Siege ou Warframe pour ne citer qu'eux, et c'est tout ce qu'on souhaite à Marvel's Avengers. Mais pour cela, il va falloir se retrousser les manches.