TEST
Event[0]
par Nicaulas,
email @nicaulasfactor
Développeur / Editeur : Ocelot Society
Support : PC
Ce n’est pas la première fois qu’une I.A. joue les premiers rôles dans un jeu vidéo. De System Shock à Mass Effect en passant par des séries B comme Binary Domain, la plupart des jeux s’inspirant des grandes œuvres de la science-fiction ont la leur. Mais si certains d’entre eux réussissent à en faire de vrais personnages, c’est souvent par des voies détournées, faisant d'eux des ressorts humoristiques ou au contraire des monstres froids. C’est entre autres pour cela qu’Event[0] est attendu au tournant : le premier jeu d’Ocelot Society propose une I.A. qui est à la fois le personnage central de son histoire et le moteur de son gameplay.
2012, une espèce d’odyssée
Les première minutes d’Event[0] sont un peu étranges puisqu’elles ne ressemblent pas vraiment à ce qu’on imaginait. Simples lignes de textes décrivant l’univers du jeu sur fond de station spatiale et accompagnées de pistes sonores adéquates, elles permettent de poser le contexte d’une uchronie où la conquête spatiale a continué bien au-delà des missions Apollo et de la guerre froide, entre colonisation sélène par les classes sociales les plus aisées et tourisme spatial de luxe dans les années 80. Au détour de ces informations, le jeu nous demande de « créer » un personnage au background qui nous touche, en choisissant par exemple les conditions de vie de notre enfance, notre timidité sociale, notre degré d’altruisme ou notre gestion de l’angoisse. Il s’agit peut-être d’une réminiscence du jeu étudiant qu’était Event[0] à son origine, ou tout simplement un choix de design pour impliquer efficacement le joueur tout en lui assénant les bases de l’univers. Toujours est-il que c’est déroutant et que cela nous plonge directement dans l’ambiance.
Car cette introduction se termine en 2012 par la destruction de la mission Europa-11, dont on est le seul survivant. Après avoir dérivé dans l’espace, on arrive aux abords du Nautilus, une station de tourisme de luxe des années 80 a priori désaffectée. Et c’est une fois à bord qu’on découvre Kaizen, intelligence artificielle maître des lieux, qui peut nous aider à reprendre contact avec la Terre mais avec laquelle on ne peut interagir qu’en tapant des lignes de commandes sur des terminaux délicieusement obsolètes. Car dans Event[0], on ne peut interagir avec rien. On se contente de se déplacer et d’observer avec la souris, et lorsqu’on souhaite faire quelque chose, on demande à Kaizen. L’occasion d’énoncer une petite parenthèse indispensable : le jeu n’est disponible qu’en anglais et demande un niveau de compréhension et surtout d’expression écrite assez relevé. Une traduction en français est dans les cartons, mais sans date précise pour l’instant.
Car cette introduction se termine en 2012 par la destruction de la mission Europa-11, dont on est le seul survivant. Après avoir dérivé dans l’espace, on arrive aux abords du Nautilus, une station de tourisme de luxe des années 80 a priori désaffectée. Et c’est une fois à bord qu’on découvre Kaizen, intelligence artificielle maître des lieux, qui peut nous aider à reprendre contact avec la Terre mais avec laquelle on ne peut interagir qu’en tapant des lignes de commandes sur des terminaux délicieusement obsolètes. Car dans Event[0], on ne peut interagir avec rien. On se contente de se déplacer et d’observer avec la souris, et lorsqu’on souhaite faire quelque chose, on demande à Kaizen. L’occasion d’énoncer une petite parenthèse indispensable : le jeu n’est disponible qu’en anglais et demande un niveau de compréhension et surtout d’expression écrite assez relevé. Une traduction en français est dans les cartons, mais sans date précise pour l’instant.
I'm sorry Nicaulas, I'm afraid I can't do that
Embarquant officiellement plus de deux millions de réponses dans sa mémoire, Kaizen a du répondant. Il est possible de l’interroger sur à peu près tout ce qui a trait à l’univers, se trouve dans le Nautilus ou est en lien avec la progression dans l’histoire, l’idée des développeurs étant de le/la faire réagir au langage « naturel ». Cela va du « Tell me about this room. » au « Open door D10 please. » en passant par des commandes spécifiques à l’énigme en cours. Car Event[0] est bel et bien un jeu de réflexion : dans un Nautilus désaffecté depuis 30 ans, impossible d’aller directement là où on veut. Il faut contourner des obstacles, déverrouiller des portes et jouer avec les obligations de Kaizen pour comprendre comment progresser. En tant qu’I.A., il/elle ne peut vous donner les codes secrets ou afficher automatiquement les logs contenus sur un terminal. En revanche, Kaizen peut vous orienter vers le bon chemin en restant évasif et rhétorique, en vous répondant par exemple « Are you sure you don’t want to stay in this room ? » quand on lui demande d’ouvrir une porte.
Mais l’intérêt de Kaizen dépasse largement celui d’un robot ménager : il/elle a une personnalité avec laquelle il va falloir composer. Chérissant votre compagnie autant que possible (vous êtes le premier humain qu’il/elle voit en 30 ans), il/elle interagit avec vous en abordant certains sujets de lui-même, ou en exprimant ses envies, ses craintes voire ses angoisses. En conséquence, il/elle adapte son comportement à la manière dont vous lui répondez et agissez. Entendons-nous bien : il est possible de progresser quel que soit le niveau de langage employé. Mais la fin du jeu et son atmosphère changeront radicalement selon que vous vous montrez froid, méprisant, injurieux ou à l’inverse chaleureux, empathique et respectueux. Et si, d’une manière générale, une grande variété de runs est envisageable et que la trame principale empruntant beaucoup à 2001 et à Solaris est assez convenue, Event[0] a cette caractéristique des jeux narratifs qui impliquent leurs joueurs au point que ceux-ci n’ont plus vraiment envie de tester les solutions alternatives, afin de préserver « leur histoire ». Il en a également la durée : une poignée d'heures tout au plus.
Mais l’intérêt de Kaizen dépasse largement celui d’un robot ménager : il/elle a une personnalité avec laquelle il va falloir composer. Chérissant votre compagnie autant que possible (vous êtes le premier humain qu’il/elle voit en 30 ans), il/elle interagit avec vous en abordant certains sujets de lui-même, ou en exprimant ses envies, ses craintes voire ses angoisses. En conséquence, il/elle adapte son comportement à la manière dont vous lui répondez et agissez. Entendons-nous bien : il est possible de progresser quel que soit le niveau de langage employé. Mais la fin du jeu et son atmosphère changeront radicalement selon que vous vous montrez froid, méprisant, injurieux ou à l’inverse chaleureux, empathique et respectueux. Et si, d’une manière générale, une grande variété de runs est envisageable et que la trame principale empruntant beaucoup à 2001 et à Solaris est assez convenue, Event[0] a cette caractéristique des jeux narratifs qui impliquent leurs joueurs au point que ceux-ci n’ont plus vraiment envie de tester les solutions alternatives, afin de préserver « leur histoire ». Il en a également la durée : une poignée d'heures tout au plus.
"AAAAHOOHIHHOEHHEHOAHEUIHAEUHAUEHO" (György Ligeti, Requiem, 1965)
Or, de ce point de vue-là, difficile de ne pas pester en jeu contre les réactions parfois aléatoires de Kaizen. Difficile de dire à quel point elles sont dues au jeu ou au joueur puisqu’on ne sait pas précisément comment ce chatbot a été codé, mais certains moments sont rendus surréalistes par l’incompréhension mutuelle entre l’homme et la machine. Le réservoir de répliques semble varier en fonction de scripts liés à l’observation de l’environnement (i.e. « je ne te laisserais pas avancer tant que tu n’auras pas observé tous les papiers qui traînent sur ce bureau »), ou bien déclenchés par des mots clés. Certains sont même à éviter, comme le mot « ship » qui semble déclencher systématiquement des phrases informatives sur la construction du Nautilus, et ce que la question soit « What’s this ship ? » ou « Is there anyone alive on this ship ? » Pires sont les séquences où Kaizen nous conseille en boucle de faire quelque chose et refuse une ligne de commande nécessaire pour y arriver. Quand on se retrouve à insulter un ordinateur parce que ça fait 5 bonnes minutes qu’on veut lui faire descendre un ascenseur et qu’il ne veut rien entendre, on peut dire qu’on est totalement impliqué dans le jeu, mais pas forcément pour les bonnes raisons.
Bien sûr, on ne pouvait attendre de Kaizen qu’il soit une « vraie » I.A., ne serait-ce que parce que des équipes bien plus fournies et avec bien plus de moyens se cassent encore les dents sur de tels projets. On pense bien évidemment à Tay, l’I.A. de Microsoft dont l’expérience de machine learning a tourné court après qu’elle est devenue néonazie en moins de 24 heures. Ocelot est une toute petite équipe qui a travaillé consciencieusement pendant plusieurs années et la copie qu’ils rendent est plutôt propre. Le jeu est visuellement très réussi, son esthétique mélangeant habilement design retro (façon base lunaire de 2001) et futur usagé (façon Nostromo). Si Jupiter et Europe, en toile de fond, font un peu cheap, tout le reste est détaillé et très bien foutu. Le sound design est également intéressant, avec notamment une belle gestion du son à l’intérieur d’une combinaison spatiale, dans une séquence empruntant évidemment à 2001. Il reste cependant gênant d’être régulièrement confronté au fait que Kaizen n’est pas l’I.A. dotée de personnalité qu’elle est censée être.
Bien sûr, on ne pouvait attendre de Kaizen qu’il soit une « vraie » I.A., ne serait-ce que parce que des équipes bien plus fournies et avec bien plus de moyens se cassent encore les dents sur de tels projets. On pense bien évidemment à Tay, l’I.A. de Microsoft dont l’expérience de machine learning a tourné court après qu’elle est devenue néonazie en moins de 24 heures. Ocelot est une toute petite équipe qui a travaillé consciencieusement pendant plusieurs années et la copie qu’ils rendent est plutôt propre. Le jeu est visuellement très réussi, son esthétique mélangeant habilement design retro (façon base lunaire de 2001) et futur usagé (façon Nostromo). Si Jupiter et Europe, en toile de fond, font un peu cheap, tout le reste est détaillé et très bien foutu. Le sound design est également intéressant, avec notamment une belle gestion du son à l’intérieur d’une combinaison spatiale, dans une séquence empruntant évidemment à 2001. Il reste cependant gênant d’être régulièrement confronté au fait que Kaizen n’est pas l’I.A. dotée de personnalité qu’elle est censée être.
Par son principe de base et ses sources d’inspiration, Event[0] déclenche des fantasmes qui ne peuvent qu’être déçus. Placé au cœur du jeu, Kaizen n’est logiquement pas aussi précis et interactif que les I.A. de fiction dont on est abreuvé depuis des décennies. Reste une ambiance et une esthétique parfaitement réussies, et une dynamique narrative indéniable qui demande l’implication du joueur tout en lui garantissant une expérience intimiste sur mesure.