Dragon Age 2
The New Shit
Essayons de retracer un petit peu l’histoire de Bioware au cours de ces quelques dernières années. Bioware a réalisé de très bons jeux, tels que Star Wars : Knights of the Old Republic ou Neverwinter Nights (encore que pour ce dernier, la qualité vient plutôt des extensions que de la campagne d’origine). Le problème quand on fait des jeux basés sur des licences juteuses, c’est qu’elles sont justement juteuses parce que ses propriétaires - Lucas et Wizards of the Coast en l’occurrence – les gèrent d’une main de fer dans un gant de velours. Et quand on est créatif, on a un peu envie de faire ce qu’on veut de ses idées, ne pas être contraint par des étranges personnes qu’on ne voit jamais.
La solution est donc de bosser pour eux un peu, gagner plein de sous, et développer ses propres licences. Star Wars nous a ainsi donné Mass Effect ; Donjons & Dragons nous a donné Dragon Age. Jusqu’ici, tout allait bien. ME était supposé être la partie « Action RPG » du studio, tandis que DA la partie « Tactical RPG » descendante de Baldur’s Gate.
Bioware a bossé de longues années sur Dragon Age. Leur but était de faire un monde cohérent, à défaut d’être original – mais admettons-le, les joueurs de RPGs aiment que les nains aient de la barbe, les magiciens des robes et les Paladins une orientation sexuelle floue. Pour le coup, la lore de Dragon Age n’est pas si mal fichue, mélangeant mythes distants et restant à prouver (Andraste qui renverse les Mages à la solde de ces salauds de Dragons), et réalités bien concrètes (le Darkspawn qui vient frapper à votre porte et vous demandant gentiment s’il peut violer vos femmes, chèvres et enfants).
Quelques mois avant la sortie officielle de Dragon Age : Origins, Bioware annonce se faire racheter par EA. La sortie PC est retardée, de sorte à pouvoir coïncider avec la sortie X360. On ne voudrait quand même pas financer deux campagnes marketing si une seule peut suffire. Et quelle campagne, clairement orientée vers les rôlistes mâtures attendant enfin un D&D-like parfaitement adapté au jeu vidéo. Des hordes entières d’adolescents ont dû être fortement déçues lorsqu’elles ont eu le jeu entre les mains, stupides sous-hommes qu’ils sont, à ne pas se douter que ce genre de campagne était conçue précisément pour leur soutirer des sous qu’ils ne pourront pas dépenser en Smirnov-Pastèque pour la soirée de Laëtitia qui peut faire une soirée chez elle car ses parents sont en vacances en Dordogne, par contre sérieux salopez pas les tapis sinon elle va se faire griller.
Notons que ça a dû bien fonctionner, le jeu s’étant vendu à plus de 3 millions d’exemplaires. L’histoire ne dit pas si c’est le bouche à oreille entre amateurs de RPG ou Marylin Manson qui a contribué le plus à atteindre ce chiffre.
Le lecteur attentif et impatient de savoir si le jeu est bien se demande, en ce moment même, pourquoi j’évoque tout ça. Je vous raconte tout cela parce que c’est bien de savoir d’où on vient pour expliquer comment on se retrouve ici.
Car ce qui est sûr, c’est que quand on passe de statut de studio indépendant à la bonne réputation au stade de studio Triple A (ce qui n’est plus possible en Grèce) sous la coupe d’un géant du divertissement, on n’a plus les mêmes valeurs ma bonne dame. Il faut être trendy, utiliser un niveau de langage encore non reconnu par l’Académie Française, c’est-à-dire promettre plein de trucs sans qu’on puisse jamais vous prendre à défaut, c’est-à-dire ce qu’on enseigne dans les écoles de communication. Et puis orienter le discours sur la violence et le cul ça ne peut pas faire de mal. L’avantage à tout cela c’est qu’on peut s’en moquer facilement à posteriori. Button, awesome! Button, awesome!
Bref, plus de 700 signets pour vous dire que Dragon Age 2, c’est pas Dragon Age : Origin, et encore moins le RPG de papa. Loin s’en faut. Le titre a été « Mass Effectifié », ce qui ne serait pas en soi un malheur (Mass Effect est un bon jeu) si tout le jeu ne semblait pas avoir été fait à la va-vite. Non pas qu’il y ait plein de bugs, des textes manquants ou quoi. C’est propre, on ne peut pas dire le contraire. Mais on sent bien que le jeu a été développé en à peine un an.
Des combats plus rapides et dynamiques …
La première chose notable c’est qu’il a été décidé que le jeu devrait être plus « cinématique », à la façon de Mass Effect là aussi. Cela implique de doubler 100% des dialogues, non seulement des NPCs, ça on a l’habitude, mais aussi du personnage principal. Et forcément, un Nain n’a pas la même voix qu’un Humain qui n’a pas non plus la même voix qu’un Elfe. Alors du coup, terminé, on ne peut plus choisir la race de son personnage principal. Il sera humain et un point c’est tout. Libre à vous de décider si, pour un RPG, ça la fout mal ou non. Au moins peut-on toujours choisir le sexe de la personne. Ça serait quand même dommage de ne pas pouvoir jouer une humaine bisexuelle et coquine sur les bords ; pour des raisons de roleplay uniquement, bien sûr, qu’allez-vous imaginer là.
Fort heureusement, on peut encore choisir sa classe. Le jeu propose les trois archétypes typiques : guerrier, voleur et mage. Les talents, compétences et spécialisations sont eux aussi toujours disponibles, présentés de façon quelque peu différente mais ayant toujours la même finalité.
Les compétences en question ne sont plus tout à fait les mêmes. Certaines ont été modifiées, d’autres regroupées en une seule. Les compétences sont toujours séparés en différents arbres (« Templier », « Epée et Bouclier », « Entropie », etc..). Il est même possible d’upgrader ou non certaines de ces compétences. C’est plutôt intéressant car cela permet de peaufiner un petit peu plus son personnage. Par exemple, ne pas prendre l’upgrade de génération d’aggro supplémentaire sur un sort à effet de zone est parfait pour un personnage orienté DPS, alors qu’un personnage jouant le tank appréciera le bonus.
On regrettera simplement que l’écran de présentation des compétences ne permette de voir qu’un arbre à la fois, ce qui force à sans cesse cliquer sur « Back » pour avoir une vue générale – qui ne permet pas de voir les détails. De même, lorsqu’on doit valider l’achat de compétence, il faut le faire par arbre – impossible de le faire pour tous les arbres à la fois. C’est dommage car le jeu permet d’acheter des potions pour réinitialiser tous ses talents, et on se retrouve parfois avec beaucoup à distribuer. Il aurait été appréciable de pouvoir sereinement assigner tous les points, considérer un peu ce que l’on a fait, et à ce moment seulement valider l’allocation des compétences.
Autre évolution sympathique, les attaques de mêlé comprennent, pour beaucoup, des effets de zone. Elles sont de plus instantanées, ce qui permet de prendre le contrôle du champ de bataille de façon assez agréable. Les personnages de mêlée peuvent maintenant charger leur cible si elle se trouve à quelque distance. Cela rajoute un côté instantané intéressant, sans pour autant transformer le jeu en hack’n slash puisque mettre sur pause régulièrement reste obligatoire si l’on veut Bien Jouer ™.
Les Mages ne sont pas en reste. Pour commencer, les effets et animations de leurs sorts ont été revus, et c’est de toute beaauuuté. Par exemple, un sort de zone canalisé permet de créer un orage électrocutant les malheureux se trouvant en dessous. Lorsqu’un mage incante ce sort, ses bras s’élèvent dans les airs comme pour invoquer les éléments. Il faut bien avouer que ça en jette.
En résumé, les combats sont plus pêchus sans réellement de perte sur l’aspect tactique (on va y revenir), beaucoup plus visuels, et avec une meilleure synergie entre les compétences et sorts des personnages. Les Voleurs sont peut-être un petit peu en reste et moins impressionnants car ils sont plutôt orientés gros DPS mono cible – et ils le font très bien.
… complètement gâchés
Mais tout n’est pas parfait. Loin de là. En fait, j’ai envie de dire que quelques problèmes-clef foutent en l’air tous les beaux efforts réalisés.
Premier exemple : l’absence de « Vue Tactique ». DA:O n’en n’avait pas non plus sur console, mais la version PC en était dotée. Dans DA2, il n’y en n’a pas, et c’est tout. J’aimerais qu’on m’explique la vraie raison, parce que je ne vois pas ce qui, techniquement, pose problème. Il s’agit de changer le point d’ancrage d’une caméra. Dans un univers entièrement réalisé en 3D et texturé, cela ne pose aucun problème. En revanche, ne pas en avoir est aussi pénalisant que d’essayer de ramasser une pièce de 5 centimes avec deux bouts de bois plutôt qu’avec nos mains à pouces opposables.
Quand j’ai besoin de cliquer précisément sur une zone au sol, j’aime ne pas être gêné par un putain de tonneau dans ma ligne de vue qui m’empêche de cliquer sur la zone qui m’intéresse. Quand je veux que plusieurs membres de mon groupe envoient des AE au même endroit, j’aime que la vue ne change pas en même temps que je change de personnage, ça m’évite d’avoir à la recaler. Quand mon mage est loin du combat et que je veux lui ordonner de lancer une boule de feu, j’aime pouvoir scroll la vue un petit peu à la façon d’un RTS. Si un poteau se trouve entre mon ennemi et moi, j’aime pouvoir le cibler en reculant la caméra ou en la faisant pivoter comme bon me semble. Chacun peut imaginer ses petits exemples personnels, autant de bonnes raisons d’avoir cette fichue vue.
DA2, vous l’aurez compris, ne permet pas tout cela. Etant habitué à alterner la vue tactique pour bien préparer mes combats (surtout les débuts de combat, ou les combats compliqués) à la vue « action » troisième personne, cela me frustre au plus haut point. Je ne pense pas être le seul dans ce cas. Alors en effet, ça n’empêche pas de jouer. C’est une fonctionnalité triviale à implémenter, surtout qu’elle existait déjà, cela ne mange pas de pain et ça permet de ne pas frustrer un certain type de joueur qui a ses petites habitudes sur ce genre de jeux et attend d’eux qu’ils n’essaient pas de les changer.
Second problème majeur, les vagues d’ennemis. Là aussi, la version PC se voit affligée de la « consolisation » de son gameplay. Dans DA :O PC, tous les ennemis étaient sur le champ de bataille dès le début du combat. D’après Bioware, les consoles ne pouvant pas gérer autant de NPCs simultanément, les ennemis arrivaient par vague au cours du combat. DA2 reprend ce concept mais l’introduit (bien profond) dans la version PC. Si au moins c’était bien fait, ça pourrait éventuellement aller, on pourrait faire abstraction du fait que cela n’a aucun sens – encore une fois, quand on attend de DA2 d’être le petit-fils spirituel de Baldur’s Gates. Mais même pas. Voici comment se déroulent 95% des combats de DA2 :
- On repère un pack d’ennemis, on envoie le tank
- Variante : On se fait prendre en embuscade par des araignées
- Les ennemis sont pour la plupart faibles, on les tue vite
- Une seconde vague arrive, plus balèze, avec un genre de mini boss
- Optionnel : Une troisième vague arrive, plus balèze que la seconde, avec un genre de mini boss
A chaque fois qu’une vague arrive, les ennemis popent au 4 coin de la salle, un peu de n’importe où. On n’essaie même pas de faire genre ils arrivent par une porte ou un chemin, ce qui pourrait inciter à penser que des ennemis ont entendu le bruit de la bataille et viennent en renfort. Non, ça pop d’on ne sait trop où.
Ça pose un problème immédiat : impossible de tenir des compagnons à distance du combat. Est-ce que c’est moi, où les joueurs de (MMO)RPGs ont été conditionnés depuis ces 20 dernières années à tenir ses soigneurs et DPS distance à … distance ? Et bien dans DA2 c’est plutôt une mauvaise idée puisqu’ils vont se faire aggro directement dès la seconde vague, votre tank va devoir faire la chasse aux mobs, et ainsi de suite. D’aucuns diront que c’est bien, ça permet de faire du crowd control, et tout ça. Dans un jeu multi-joueur –inutile de préciser que DA2 est solo uniquement – pourquoi pas, mais en solo c’est juste pénible de devoir systématiquement faire du micro management pour le moindre combat à la con. Sachant qu’il faut deux flèches à un archer pour défoncer un mage en mode hardcore, autant vous dire que vous avez intérêt à vite trouver le raccourci du Quick Load.
Sans compter que l’IA est parfois complètement débile et la gestion de l’aggro n’a aucun sens. Les ennemis ont tendance à aggro l’allié le plus proche d’eux, et ils vont parfois rester collés dessus, même si le tank les tabasse et que le pauvre Mage ne fait rien d’autre que courir partout en attendant que le cooldown de sa potion soit terminé.
Autre exemple : Lors d’un combat contre un dragon mon archer à prit l’aggro après avoir posé un DoT, très bien. Je l’ai fait kitter l’ennemi pendant 50% de sa vie. C'est-à-dire que mes deux guerriers coupaient les jarrets du Dragon à grand coup de hache pendant une minute, sans que l’IA se dise que le problème c’était pas la flèche plantée dans le cul mais plutôt les kilos de barbaque qui manquaient aux arpions. Bref, du grand n’importe quoi, et cela m’a personnellement gâché une grande partie du plaisir de jeu.
Histoire
Toute l’histoire de DA2 se déroule dans la ville de Kirkwall et ses alentours immédiats. On commence comme un réfugié, et vu qu’on est un peu doué de nos mains on gravit les échelons de la société. Toute l’action se déroule à Kirkwall ou ses environs immédiats. Par conséquent, l’histoire est condamnée à ne pas être vraiment grandiose. Est-ce que Le Seigneur des Anneaux aurait été aussi épique si toute l’histoire se passait, mettons, au niveau de La Comté ? Est-ce que Star Wars aurait eu le même succès si Anakin ne décollait jamais de Tatooine ?
Le pire, et là ça en devient presque du foutage de gueule, c’est que Bioware a réutilisé plusieurs fois les mêmes donjons. Alors qu’ils sont présentés comme étant différents, hein. Ils ont fait un modèle de chaque type de donjon (une demi-douzaine environ), et en fonction des quêtes certains couloirs et pièces seront bloqués ou non. Vu qu’il y a des dizaines de quêtes, très courtes et inintéressantes, on finit par connaitre tous les coins et recoins. Pitoyable pour un type de jeu où un des grands plaisirs est, justement, d’explorer différents types de donjon à la recherche de trésors perdus.
L’histoire se déroule sur une dizaine d’années, sans que les élipses temporelles soient bien utilisées. Elles sont simplement des raccourcis scénaristiques qui permettent de justifier la présence d’un NPC, ou de rapidement résumer toute une section de l’histoire que, quand même, on aurait bien aimé jouer nous-même. « Oh la la, Hawke, tu t’en es bien sorti ces dernières années ! » permet de justifier en une ligne comment notre personnage est passé de clodo à marquis. L’histoire étant narrée par un « narrateur non fiable », il se laisse parfois aller à certaines exagérations. Deux fois, en fait, selon mon compte. Ça marche plutôt bien, mais c’est dommage que ce mécanisme n’ait pas été utilisé plus souvent et à meilleur escient – un peu à la façon d’Alpha Protocol.
Le pire est la dernière section du jeu. J’ai décidé d’être sympa avec le seul compagnon qui pouvait soigner, de faire sa quête perso et tout. Il se trouve qu’en faisant ça, je l’ai condamné à mort, à moins de ne plus être cohérent avec mon propre personnage et de l’épargner. Résultat, je me retrouve à la toute fin du jeu avec aucun soigneur dans mon groupe. Rien ne m’a permis dans l’histoire de croire que l’aider arriverait à le perdre à la fin de l’histoire, et que je me retrouverais bien dans la merde. D’un point de vue purement conceptuel, je trouve ahurissant que Bioware puisse mettre les joueurs dans une situation où ils perdent un des trois blocs nécessaire à un bon groupe (tank, soin, dps). Avec l’impossibilité de revenir en arrière acheter des potions de soin, qui plus est.
Dragon Age 2 est une tentative de « Mass Effectisation » de Dragon Age. Et force est de constater que ça ne marche pas. Les excellentes modifications apportées aux talents et compétences sont anéanties par des combats tantôt pénibles (déplacer tous ses mecs parce qu’une vague vient de pop, en espérant que le tank pourra reprendre l’aggro), tantôt lassants (on finit par tout pull super loin et retourner pull les vagues plutôt que de rester au milieu), une histoire en carton de par ses enjeux locaux (une ville), des quêtes molles et inintéressantes (si je veux chercher 8 poils de cul d’ours et 6 rectums de lapin, je peux jouer à un MMO). Petite note positive pour les effets graphiques et sonores. De même, les quêtes de compagnon sont sympathiques et parfois innovantes ; ce qui prouve bien que la médiocrité générale vient d’une paresse, car on sait que Bioware peut faire des quêtes fantastiques. Seule la durée du jeu (une bonne cinquantaine d'heures en faisant à peu près toutes les quêtes) a un petit côté RPG. Mais bon, 50 heures à ce niveau de qualité là, on pourrait se contenter de 20.