TEST
Desperados III
par billou95,
email @billou_95
Développeur / Editeur : Mimimi Games THQ Nordic
Plus d'une décennie après l'extinction des derniers dinosaures, il aura fallu attendre la sortie de Shadow Tactics: Blades of the Shogun fin 2016 pour qu'on s'écrie à nouveau "bon sang, mais qu'est ce que c'est bon la tactique temps réel !". Le tout jeune studio allemand aux commandes de cet excellent jeu a bien compris qu'il touchait là le génie du doigt. Ils n'étaient d'ailleurs pas les seuls puisque THQ Nordic leur confiait quelques mois plus tard la licence décrépite d'un des plus fameux ambassadeurs du genre : Desperados, probablement en leur susurrant un petit "faites-vous plaisir" avec un sourire en coin...
C'est bien beau tout ça, mais c'est quoi d'abord la tactique temps réel ? Bah oui, on ne vous en veut pas d'ignorer la nature même du concept, vu que ça ne s'est pas bousculé au portillon ces dernières années. Dans ce genre qui lorgne sur l'infiltration dosée, on dirige dans une vue isométrique une escouade de gus dans des missions à priori impossibles à réaliser. Lâchés dans de vastes environnements, encerclés par des hordes d'ennemis aux déplacements prévisibles, mais pas trop, on passe le plus clair de son temps à analyser les rondes des gardes. On patiente, on observe avec minutie ce qu'ils voient à un instant T dans leur cône de vision, pour se faufiler entre eux et attendre le bon moment pour en zigouiller un dans un angle mort. Et ainsi de suite jusqu'à l'accomplissement de l'objectif. Voyez-le comme un gigantesque casse-tête où l'on use plus que de raison les touches F5 et F8 de son clavier (respectivement sauvegarde rapide et chargement de la dernière sauvegarde). On tente des coups, on meurt, on recommence. Et ce pendant des heures et des heures.C'est dans tous ces moments "Euréka !" où on hurle littéralement de soulagement après avoir passé de longues minutes à synchroniser parfaitement les mouvements et actions de sa petite troupe pour planifier ses petites exécutions qu'on trouve le meilleur du genre. Entre ses éperons cinglants, ses Stetsons impeccables et ses Colts qui cliquettent en bandoulière, il y avait là bien plus qu'une étoile de Sheriff à redorer sur Desperados et c'est ce que Mimimi Games s'est attelé à faire avec un nouvel épisode sobrement intitulé Desperados III.
Un nouveau jeu certes, mais un script qui revient aux origines du gang et de son cowboy iconique John Cooper, aux prises avec le responsable de la mort du paternel. Un petit twist scénaristique qui permet surtout au studio de justifier le coup de propre, quitte à sacrifier sur l'autel du bon goût les archétypes qu'adoraient les vieux barbus biberonnés aux productions Spellbound Entertainment. Les Munichois mettent donc à la retraite les personnages clichés et un peu passés de mode de Williams et Hawkeye pour bourrer le produit de tout leur savoir-faire. Que les fans se rassurent, John Cooper reste toujours l'éternel double pistolero qu'on apprécie. A ses côtés, on retrouve bientôt Doc McCoy, expert des poisons, de la filouterie et du fusil de sniper. Kate O'Hara fait aussi son grand retour et use toujours autant de ses charmes pour tromper l'ennemi et l'attraper dans ses filets, à condition bien sûr de trouver un déguisement et de s'adresser à la gent masculine. Dans une optique de modernisation, Pablo Sanchez change de nom et quitte son costume de mexicain typé pour devenir Hector Mendoza, un trappeur costaud toujours affublé de Bianca, son redoutable piège à loups. Enfin, la petite nouvelle de la bande c'est Isabelle Moreau, une prêtresse vaudou fraichement débarquée de la Nouvelle-Orléans. Grâce à ses pouvoirs mystiques, elle peut par exemple sacrifier une partie de sa santé pour prendre le contrôle d'un ennemi. Mieux encore, en lançant une incantation, elle peut lier le sort de deux ennemis entre eux... Mimimi profite de cette réorganisation pour chiper quelques-uns des traits de Shadow Tactics et les refiler aux héros de Desperados, histoire de dynamiter un peu plus l'action.
La Recharge héroïque
Ainsi, Isabelle se promène avec un chat mignon qu'elle peut envoyer distraire les gardes (le tanuki de Takuma), Hector lui peut transporter deux cadavres au lieu d'un, tuer les Longs Manteaux (les plus gros ennemis du jeu) seul, mais toujours pas grimper aux cordes ou aux lianes, comme son "ancêtre" Mugen dans Shadow Tactics. Mais surtout, ils repompent presque entièrement le système de jeu de leur précédent succès, et ça, c'est plutôt malin. Si vous y avez joué, vous ne serez clairement pas dépaysé. On retrouve les mêmes jauges/cônes de vision qui se remplissent toujours progressivement en jaune lorsqu'un ennemi nous détecte. Si l'on est encore dans le cône lorsque la couleur nous atteint, l'alarme est déclenchée, tout le monde commence à s'exciter et nous tirer dessus, des renforts commencent à surgir des bâtiments aux alentours. Bref, c'est très probablement le bon moment pour recharger sa dernière sauvegarde.A noter que les cônes de vision affichent presque toujours une zone hachurée dans laquelle on parait invisible si on se balade accroupi. On retrouve aussi peu ou prou la même chose en matière d'adversaires. Des benêts de base qu'on peut aisément leurrer aux Longs Manteaux tellement imposants qu'il faudra être deux pour les abattre, en passant par les imperturbables Ponchos qui restent à leur poste quoi qu'il se passe ou les chiens qui nous reniflent même planqués dans un bâtiment ou un fourré, il y a de quoi faire. Et tout ce petit monde réagit non seulement à notre présence, mais aussi au bruit que l'on fait, aux traces de nos pas dans le sable, aux sources de lumière proches ou aux cadavres éventuels qu'on laisse derrière nous... En tout cas à partir du moment où l'on se trouve dans une zone considérée comme hostile (à la différence d'endroits où notre présence est tolérée comme le centre-ville dans certaines missions, coucou HITMAN). Heureusement, le Mode Ombre de Tactics laisse sa place au Showdown : une pause active pendant laquelle on peut scripter des actions pour chacun des personnages. Un véritable script pourra ensuite être déclenché à la pression de la touche Entrée à notre convenance. Cet outil intégré sera le meilleur ami du tacticien amateur qui voudra par exemple envoyer Kate distraire un groupe de gardes pendant que John et Isabelle assassinent en silence deux autres ennemis regardant dans la direction opposée, avant de laisser Hector venir faire le ménage et ramasser les preuves avant d'aller les enfouir dans une botte de foin. Regarder tout ce petit monde s'agiter après avoir planifier le crime parfait est toujours extrêmement jouissif. Bien sûr, il est parfaitement possible de s'en passer, de tout déclencher à la main à l'aide des différents raccourcis clavier qui permettent de jongler entre l'un et l'autre.
Cela demandera cependant une dextérité folle, surtout à partir du chapitre 2 qui nous envoie tellement de monde à la tronche et d'opportunités qu'on ne saura plus ou donner de la tête. Desperados 3 met définitivement l'emphase sur la coopération synchronisée très tôt dans la partie, bien plus que Shadow Tactics, et garde le rythme jusqu'à un final haletant qui demandera de se creuser les méninges comme jamais. Les développeurs s'en sont d'ailleurs donné à coeur joie que ce soit dans le level design avec des cartes gigantesques bourrées d'IAs à abattre et d'objectifs secondaires à accomplir. La verticalité y est aussi omniprésente que dans son prédécesseur et il faut constamment jongler avec ces foutus gardes perchés sur leurs miradors qui vous voient à 3km. C'est aussi l'une des forces du jeu : le monde parait plus ouvert et vivant que jamais. Non seulement, Desperados 3 est très bavard, tout le monde à toujours quelque chose à dire, mais il y a en plus une foule de petites animations ici et là, de PNJs qui vaquent à leurs occupations, d'intérieurs à visiter dans les villes et d'objets interactifs permettant d'organiser des "accidents bêtes" et se sauver d'une issue fatale.
Danse avec les Coups
Exciter un taureau pour le faire charger un garde, entraîner la course folle d'un chariot de mine qui fauchera un groupe au passage, simuler le tir accidentel d'un coup de canon, attirer des trouffions sur les voies juste avant la cavalcade d'un train roulant à toute vitesse, grimper sur le toit d'une église et faire tomber une cloche sur une cible... Autant d'objectifs secondaires qui récompensent le joueur en fin de mission par différents badges liés à des challenges d'une difficulté croissante et qui poussent à la rejouabilité, sans forcer (encore un point commun avec la saga de IO Interactive). Les Teutons aux manettes ont même rajouté un replay en fin de mission qui affiche en vue de dessus sur la map nos actions dans une frise chronologique. On repart donc volontiers pour un tour dans des missions souvent très longues (jusqu'à 5h sur le dernier chapitre et plus de 30 au total) avec la même envie de casser les rondes ennemies à notre avantage et pourquoi pas se faire ses propres défis : faire un run 100% non-léthal ? Banco ! Ne jamais utiliser telle ou telle compétence ? Challenge accepté ! En manque d'inspiration ? Pas de problème, le jeu propose quelques défis supplémentaires orchestrés par le Baron (Samedi) avec à chaque fois la promesse d'une revisite soignée d'un des lieux en changeant les ennemis et les objectifs et en sus des modes de difficulté annexes qui rendent les IAs encore plus réactives.Enfin, impossible de ne pas parler de l'enrobage visuel et sonore du titre. Déjà, on peut se le dire les yeux dans les yeux, avez-vous vu une ambiance Far West aussi bien réalisée ? Nous non. Tout y est magnifique, des couchers de soleil sur les différents environnements (pont de bois surplombant la rivière Colorado, bayous boueux du fin fond de la Louisiane, canyons brûlants au Nouveau-Mexique) à la mise en scène dans des cinématiques mo-cappées avec classe. Tout y est. Les références aux westerns iconiques sont là, on y trouve même quelques clins d'oeil au jeu vidéo. Et le tout est sublimé par un sound design d'exception, des bruitages très équilibrés au mixage sonore en passant par la bande originale une nouvelle fois composée par Filippo Beck Peccoz, entre sonorités typiques des guitares résonateur, mandolines et autres pianos de saloons. Une bande-son qui accompagne avec brio les aventures de nos héros. Et que dire du doublage voix aux accents Texans à couper au couteau de toute la bande à Cooper, mais surtout de Frank, du grand art dont on ne se lasse pas.
Comme avec leur précédent titre, les magiciens de Mimimi Games font une nouvelle fois un sans-faute et nous sortent un Desperados plus sexy que dans nos rêves les plus fous. Un miracle qui toutefois n'a pas le même effet wow que son prédécesseur, mais qu'importe, on y prend toujours un plaisir fou ! Desperados III n'est pas seulement le digne représentant de la tactique temps réel moderne, c'est aussi l'un des tout meilleurs jeux de 2020.