TEST
Death's Door
par billou95,
email @billou_95
Développeur / Editeur : Devolver Digital Acid Nerve
Sans le savoir et pourtant à la vue de tous, les studios d'Andrew Shouldice et des Britanniques Foster & Fenn réécrivent la fable la plus connue de Jean de La Fontaine avec leurs Zelda-likes animaliers mignons, mais piquants. D'un côté, l'énergique renard de Tunic et son low-poly coloré qui cache bien son acidité, déjà vu dans plein de salons et qu'on attend toujours de pied ferme. De l'autre, le corbillat du duo anglais continue lui sur les traces de leurs premiers amours. Vous connaissez l'adage : si son ramage se rapporte à son plumage... Et forcément vu le pédigrée du studio, c'est ce que leur nouvelle production Death's Door a dans le ventre qui va nous intéresser.
Certains comme votre serviteur s'y sont cassés les dents dessus à sa sortie : Titan Souls avait, de loin, la tronche du sympatoche petit jeu d'action-aventure indé. En fait, il cachait bien son jeu, ce boss rush aux patterns énervés dans lequel on n'avait pour seule arme une seule flèche face à de véritables titans. Outre des qualités indéniables de gameplay et de design, le titre pour lui une mise en scène efficace qui mettait en valeur le gigantisme de ses ennemis et de son monde désolé. Pas étonnant donc de retrouver cette "patte" dès les premières minutes de Death's Door. On y dirige en effet un oisillon minuscule, d'apparence inoffensive dans des environnements plus grand que lui ravagé par les sbires d'âmes n'ayant pas trouvé le chemin vers le repos éternel.Notre boulot en tant que membre de la Commission des Faucheurs, c'est de zigouiller leurs enveloppes charnelles et les renvoyer six pieds sous terre. Le hic, c'est que si les corbeaux au service de cette Commission sont immortels dans leur réalité, ils subissent l'effet du vieillissement dès qu'ils traversent une porte pour les téléporter dans l'autre monde. Voilà de quoi motiver notre chétif héros à plumes dans sa mission.
Côté direction artistique, on est ici face à un mélange des genres qui oscille entre le surprenant et le déjà-vu : un château Bavarois vivant, une redoutable sorcière au regard doux qu'on croirait sortie d'un conte de Grimm ou de Miyazaki (le dessinateur désabusé hein, pas l'autre), des PNJs étranges aux dialogues teintés d'humour noir, mais également un bestiaire aussi générique que la traversée de ses environnements. On y trouve de tout, et surtout toujours des jeux de couleurs, d'ombres et de lumières qui permettent immédiatement de savoir où l'on se trouve dans son faux vaste monde (sans qu'il ait réellement besoin de minicarte pour s'y repérer, CQFD). Bref, un look qui en jette tout en donnant dans le minimalisme patenté. A l'image du jeu donc.
Death's Door, c'est en effet un Zelda-like 2.5D condensé qui reprend le meilleur du genre, tout en y ajoutant sa petite touche personnelle. En somme, on pourrait grossir le trait en concluant qu'on est face à l'évolution naturelle de Titan Souls. Le titre s'articule ainsi sous les traits d'un gameplay action-exploration dans 3 environnements et demi différents. Une fois la première des trois zones explorée, on déniche l'entrée d'un donjon. Arrivé dans la salle principale, on se retrouve en face d'une porte magique qu'il faudra déverrouiller en rassemblant 4 fantômes de défunts enfermés par l'âme damnée des lieux. Pour délivrer chacun de ces fantômes, on se retrouvera à combattre dans des arènes fermées 3 ou 4 vagues successives d'ennemis toujours en plus grand nombre. Ce faisant on aura droit à quelques puzzles environnementaux dans la plus pure tradition de l’action-aventure à la Nintendo. Une fois la porte ouverte et après une courte cinématique (la même à chaque fois), rebelote, une nouvelle vague d'ennemis à battre pour débloquer LE pouvoir glané dans la zone qui, vous le voyiez venir, permettra d'ouvrir de nouveaux passages dans le donjon.
On accède enfin à un sous-donjon aux vagues d'ennemis plus énervés encore et enfin au boss de la zone. Après avoir récupéré son âme et grâce au pouvoir acquis précédemment, on aura accès à la seconde zone ouverte, et ainsi de suite...
En termes de déroulé de jeu, Death's Door n'offre donc aucune surprise au joueur. On avance en pilote automatique et on est même pas surpris par les twists au fur et à mesure du jeu, déjà vus et revus. Par contre, là où il est inattaquable comme son aîné, c'est sur son gameplay. Le jeune corbeau virevolte, esquive et se bat comme un grand ! Les combats s'articulent autour d'attaques de mêlée/à distance, de la capacité d'esquive nerveuse du héros et d'une poignée de facteurs tous évolutifs au fil de nos aller-retour à la Commission pour acheter des bonus de compétences (et re-remplir sa barre de vie) : puissance et allonge des attaques de mêlée, dextérité qui augmente les DPS peu importe l'attaque, vitesse et réduction du cooldown entre les esquives et enfin puissance magique. Le jeu ne nous prend jamais en défaut, malgré des ennemis aux patterns impitoyables et qui confèrent parfois au par coeur un brin agaçant. Alors on hurle des noms d'oiseaux emplis de mauvaise foi, en tout cas au début de l'aventure. Ensuite on apprend à décrypter et finalement déjouer les danses lancinantes de chaque monstre et on arrive à en tuer un, deux et bientôt des paquets de 4 par vagues successives.
Plus on avance, plus on retrouve cette sensation d'accomplissement, véritable gage de qualité des meilleurs jeux de genre. Pour accentuer le côté risque/récompense des combats, la barre de vie ne permet que de prendre un nombre limité de coups avant le Game Over. En cas de mort prématurée, le héros est téléporté d'office dans les bureaux de la Commission, à côté de la porte la plus récemment visitée, ce qui peut occasionner des aller-retours assez longuets lorsqu'on bute en boucle sur une série de vagues d'ennemis. Les développeurs qui confirment leur inspiration From Softwaresque ont truffé les zones de raccourcis, tunnels et autres échelles qui vont s'activer au fur et à mesure de l'avancée du joueur. Ainsi, plus on avance et moins le chemin sera long pour revenir au dernier endroit où l'on a failli.
Par contre, on reste un peu sur notre faim face à la seule mécanique du jeu qui permet de regagner de la vie : les graines à planter. Il y en a une cinquantaine disséminée un peu partout dans le monde et en les trouvant et en les plantant dans des pots, elles permettent de récupérer tous nos points de vie avant de faner et disparaitre. Par contre, ces graines ainsi plantées seront de retour à notre prochain "run". Une idée intéressante, mais finalement mal mise à profit et on n'a que trop rarement le besoin d'utiliser une graine, car on débloque généralement une porte avant un évènement un peu trop costaud (à l'entrée d'un donjon, avant d'affronter une âme corrompue).
Pour continuer sur la liste des regrets, on est trop souvent punis par la vue isométrique et la caméra trop éloignée de notre corbac. Ainsi, lors des affrontements contre de nombreux ennemis, il n'est pas rare de prendre des coups bêtement parce qu'on est noyé sous une masse d'objets et projectiles qui courent vers nous dans la salle. On est aussi un peu désolé devant le nombre d'objets à collectionner qui ne servent à rien. Par exemple, on trouve au début du jeu une bague de fiançailles et sa description mentionne "il faudrait maintenant trouver une fiancée". Sauf que c'est juste un collectible comme tant d'autres. Peu d'entre eux ont une vraie utilité dans un jeu qui de toute façon n'a qu'un seul mot d'ordre : le minimalisme. Il faut donc se rendre à l'évidence, on n'y trouvera pas de vraie quête secondaire.
Malgré ces choix qui pavent une aventure qui plaira a certains et en laissera d'autres sur le carreau, le titre propose quelques moments de grâce dont on se gardera de vous parler pour ne pas spoiler les maigres pirouettes scénaristiques et de mise en scène. Et puis sa caméra volontairement éloignée du minuscule oiseau nous offre tout le temps de superbes points de vue sur son univers désolé parfois dignes de ceux proposés par Nier Automata. Enfin, c'est la bande originale de son cogéniteur David Fenn (déjà à la composition sur Titan Souls et Moonlighter pour Digital Suns) qui vient nous clouer le bec par sa mélancolie et des mélodies que l'on fredonne encore, plusieurs jours après avoir terminé le jeu.
Entre une structure d'aventure en pilotage automatique façon "petit manuel illustré du Zelda-like en 10 leçons" et des combats abrupts et aussi impitoyables que jouissifs, Death's Door déroule, déroute et souffle le chaud et le froid jusqu'à sa toute fin. On en ressort avec l'impression d'avoir d'un côté déjà joué à ça une bonne douzaine de fois, mais en même temps d'avoir participé à quelque chose d'élégant et d'unique. Comme Titan Souls dont il aurait finalement pu être une suite qui ne dit pas son nom, Death's Door assume jusqu'au bout ses intentions de distiller du minimalisme dans un genre enseveli sous le poids de ses aînés. Et c'est à nouveau une petite prouesse pour le quasi-duo aux commandes.