TEST
Assassin's Creed Valhalla
Développeur / Editeur : Ubisoft Ubisoft Montreal
Après l’échec critique de Ghost Recon Breakpoint, la maison Guillemot formula un vœu pieux : celui de prendre le temps d’espacer ses sorties, d’augmenter la durée de développement des jeux produits en interne. Reste maintenant à voir si cette stratégie s’est révélée payante avec Assassin’s Creed Valhalla.
Le pari était pourtant risqué pour l’entreprise familiale aux 18 000 employés car Assassin’s Creed Valhalla, c’est avant tout un tour de force de développement et d’édition. C’est l’histoire de comment, malgré de grosses tempêtes internes (petit résumé ici) et externes (Regardez par votre fenêtre), l’éditeur/développeur arrive à accoucher d’un AAA sur pas loin de 6 plateformes. Chapeau. Même si tout n’est pas rose au niveau des déclinaisons old-gen, le travail abattu force le respect. Icéo, Santiano !
Depuis le temps que les fans l’attendaient, ce "Assassin's Creed chez les Vikings" ! On va tout de suite passer outre l’histoire en dehors de l’Animus (cette-machine-qui-permet-de-vous-faire-revivre-les-mémoires-de-vos-ancêtes-grâce-à-l’ADN-mais-on-s’en-fout-même-chez-Ubisoft-visiblement-vu-que-le-tout-n’a-ni-queue-ni-tête) et se concentrer sur ce qui se déroule à l’intérieur de celui-ci. On y incarne donc Eivor, Huscarl Scandinave qui rêve d'aventure et de gloire.Première surprise, une nouvelle option est apparue dans le choix de notre genre : il est maintenant possible de prendre un homme, une femme, ou de laisser l’Animus décider. De toute façon, ça n’a visiblement que peu d’importance, vu que l’on peut changer à la volée le sexe de notre personnage dans les menus.
Passée une introduction qui a de la tronche, mais qui traîne modérément en longueur en Scandinavie (comptez quatre à cinq heures quand même), on se demande un brin où le jeu veut nous emmener. Spoiler : En Angleterre.
Ces heures un poil longuettes en territoire Nordique ont au moins le mérite de nous réintroduire un large nombre de mécanismes. Le joueur rompu aux codes de la saga se rendra vite compte que Valhalla est allé piocher un peu partout dans l’histoire de sa propre licence pour tout mélanger en un pot-pourri. Attention, ici, l’expression n’a rien de péjoratif. Pêle-mêle, on retrouve des mécaniques héritées de Origins & Odyssey dans la manière dont l’aventure se déroule, mais aussi un dispositif de gestion de village tiré d’Assassin’s Creed 2, le retour d’un vrai système d’assassinat, le déplacement parmi les foules, etc.
Seulement, ici, on sent que les trois ans de développement ont permis de raffiner la formule, la rendre plus précise et agréable, tout en cochant les cases de ce qu’un joueur attend d’un produit avec des Vikings sur la jaquette. S’il n’y a plus d’escarmouches navales comme dans Odyssey, on peut maintenant, en pressant une touche, sonner le cor de bataille et foncer sur les berges pour piller les campements qui ont eu la mauvaise idée, dans une région en proie à des invasions maritimes, de s’installer à côté d’une rivière. Parfois, ce sont de pauvres bivouacs de trois mecs qui se retrouvent de « on se grille des côtelettes pépouze » à « Où sont mes jambes ?! » d’une minute à l’autre. Mais notamment lorsque l’on raid les Monastères, la violence de l’assaut et la fureur de l’attaque impressionnent.
Berserker d’équerre
Le système de combat, lui aussi, a été refait pour parvenir à une formule aboutie et plaisante. L’inspiration de Dark Souls est toujours visible, mais la caméra est plus éloignée, et le tango macabre se veut plus dynamique. Notre héros est capable de passer d’un ennemi à l’autre avec fluidité, les claques ont de la patate et les finish-moves sont bien gores comme il faut. La barre d’endurance de notre personnage ne se vide que lorsque l’on rate nos coups, ou qu’ils sont parés : un bon moyen de nous pousser vers l’avant. On n’a plus la désagréable impression que chaque adversaire attend son tour pour venir se prendre sa rouste.La variété d’ennemis est au rendez-vous, et propose un certain challenge, en tout cas au début. Si le jeu commence gentiment avec une hache et un bouclier, on se retrouve bien vite avec tout un arsenal avec en vrac des épées à deux mains, des fléaux, des lances, des arcs légers, etc. Viking oblige, on peut s’outiller comme il nous sied, en équipant par exemple une hache dans chaque main, voir même (avec les bonnes compétences), deux lames longues pour tourbillonner.
Développement personnel
Le problème, c’est qu’une grande partie du fun là-dedans arrive tard. Maintenant, chaque niveau que l’on prend nous fournit des points de compétence à dépenser dans une nébuleuse d’étoiles qui n’est pas sans rappeler le sphérier de Final Fantasy X. Certaines étoiles boostent nos statistiques, tandis que d’autres nous donnent des capacités passives. Si sur le papier la théorie est bonne, on se demande qui en interne a eu l’idée de « cacher » l’entièreté de l’arbre. En effet, ce n’est qu’en arrivant au nœud à l’extrémité d’une constellation qu’on va dévoiler la suivante, et ainsi de suite. Le problème, c’est qu’on perd en direction ce qu’on gagne en suspens, et bien vite, on se contente de dépenser nos points de manière un peu aléatoire.Toute cette variété d’approches dans le combat est accompagnée d’une refonte du système d’équipement. La foire au loot comme dans le premier Destiny venu est partie. Maintenant les équipements sont disséminés sur la carte, et c’est au joueur de les récupérer. Une fois une arme dans notre besace, il est possible d’aller chez le forgeron pour l’améliorer, ce qui boostera ses statistiques et lui donnera une nouvelle esthétique clinquante. Et si cette idée fonctionne aussi bien, c’est parce qu’Ubisoft semble enfin avoir trouvé la formule d’une exploration réussie, qui lie tout le reste.
Exploration revue et corrigée
Exit la carte avec points d’interrogation tirée de The Witcher 3, qui était devenue un standard malheureux de l’exploration dans l’industrie. On sent que Breath Of The Wild a fait cogiter les game designers, et c’est tant mieux. Maintenant, les zones d’intérêt sont bien moins nombreuses qu’à l’accoutumée, et permettent un périple plus organique. On aperçoit au lointain un château en haut d’une falaise ? On peut le marquer à l’aide de notre corbeau et nous y diriger grâce à la boussole.Parfois, on repère au loin un petit village qu’on peut rejoindre, dans lequel on trouvera un « mystère ». Ici aussi, on sent que chez Ubisoft on a beaucoup aimé la mécanique des « 120 temples, chacun se terminant en 3 minutes ». Bye-bye les quêtes à tiroir, et bonjour les microquêtes de quelques minutes. Et c’est une superbe idée : on sait qu’elles ne nous feront pas dévier de notre objectif principal.
Les points de vue sont encore présents, mais permettent juste de mettre en évidence les divers points d’intérêt autour de notre personnage. Enfin, les différents lieux que l’on découvre ont toujours quelque chose à nous offrir, comme des trésors, des pièces d’équipement inédites, de nouvelles aptitudes de combats… Et vu la manière dont la gestion du matériel a été épurée, on retrouve le goût de l’aventure qu’on avait perdu en route dans Odyssey.
Certaines des ressources pourront être dépensées dans notre colonie. À la manière de Assassin’s Creed II qui proposait un pan de jeu semblable, Valhalla nous met rapidement à charge de développer notre petit campement vers une colonie florissante, avec les ressources ramenées de nos pillages. C’est une véritable satisfaction de le voir évoluer, d’autant plus que certaines quêtes vraiment chouettes s’y déroulent. Certains adoreront le système, d’autres resteront de marbre, mais gérer son village virtuel fait toujours son effet.
Et si on prend autant de plaisir à parcourir cet univers entre Scandinavie et Angleterre, c’est aussi parce qu’il déchire la rétine, notamment sur PC, version sur laquelle le jeu a été testé. Ici, l’Anvil fait des merveilles et nous propose une distance d’affichage folle. Et si les deux derniers opus donnaient un sentiment de « monde de poupées » avec des décors et des villes posées de manière arbitraire, tout semble plus crédible, plus organique. Si parfois certaines textures sont un peu baveuses, ce n’est rien par rapport au niveau de détails de l’ensemble. Et ces effets de lumière, vindiou ! Il faut avoir vu le soleil se lever sur la campagne anglaise lorsque l’on galope pour comprendre.
Comme un air de Gothic 3
Si l’environnement du jeu paraît faire preuve de cohérence, on ne peut malheureusement pas en dire de même de son écriture et de sa vraisemblance. Si l’histoire principale nous distribue les ressorts narratifs habituels à base de « Va libérer ces régions », on apprécie quand même la caractérisation des personnages qui nous entoure. On ne peut pas en dire autant de certains « mystères » qui font fi de toute logique : on apporte des œufs de serpents à une dame dans un égout, ce qui lui donne des gaz. Deux frères, l’un meunier, l’autre boulanger se disputent ? Hop, on crame leur silo, comme ça plus de jaloux. C’est dommage, car ces moments d’écriture ratés éclipsent d’autres, notamment cette quête avec la jeune fille et la feuille dans l’arbre, dont on vous laisse la surprise.Et c’est bien trop souvent que Valhalla nous brise cette immersion en nous rappelant que malheureusement, il n’est qu’un jeu. Ce sont ces Anglos-Saxons qui vaquent à leurs occupations alors que 40 Vikings sont mal cachés dans des bocages à trente mètres d’eux. C’est notre personnage, capable de couper par dizaines des anglais et danois, mais qui va aider, pour une raison quelconque un homme perdu dans les bois. On sent que contrairement à « Vikings » (la série) dont il s’inspire, le jeu n’assume jamais totalement que le joueur incarne un personnage issu d’une classe guerrière dans une époque d’invasion, dont IL est l’envahisseur, ce que le titre semble vouloir nous faire oublier.
( Merci à nos "Slicers", auquels votre serviteur s'est permis d'emprunter quelques images pour garnir son test !)
Assassin’s Creed Valhalla ne réinvente pas la formule de la série. Ça, Origins s’en était déjà chargé, en amorçant le virage vers l’Action-RPG. Valhalla se présente comme une version raffinée, remise à plat des deux précédents opus. Certains vont aller pester sur le manque de nouveautés qu’il propose, mais à notre humble avis, c’est parce que les changements nombreux qui ont été opérés se sont faits dans la finesse avec un objectif principal : mettre l’exploration au centre de tout. Face à l’« Ubi-Bashing » qui est devenu un sport national ces derniers mois, c’était un jeu nécessaire.