INTERVIEW
Strike Division
par Fougère,
email @JeSuisUneFouger
La Saint-Valentin, c’est des couples amoureux qui marchent main dans la main, mais parfois, c’est aussi des ruptures. Et parfois, elles sont assez brutales.
Aujourd’hui, une vingtaine de personnes sur la petite cinquantaine travaillant chez Eugen Systems, le studio parisien responsable de R.U.S.E ou plus récemment de Steel Division, se sont mises en grève à la mi-journée. Cela fait quelque temps que la grogne monte parmi les employés du studio, mécontentement qui s’est cristallisé aujourd’hui quand les employés ont découvert des irrégularités dans le règlement de leur salaire de janvier. Le groupe de développeurs a donc décidé de se mettre en grève et de se réunir afin de discuter de leurs revendications, qui vont s’ajouter à la liste déjà longue de griefs qui existent entre la direction et les équipes de développement, détaillée notamment dans des articles de Mediapart et Canard PC consacré aux conditions de travail dans le JV français.Nous avons pu interroger une personne employée du studio à propos de ce mouvement social, et voici ce qu’elle nous a répondu.
Fougère : Les mouvements sociaux dans les entreprises de JV, c’est assez rare quand même. Que s’est-il passé pour en arriver là ?
Eugénie* : Depuis environ un an, date de l’entrée en fonction de nos délégués du personnel, nous avons remonté par leur intermédiaire des irrégularités dans le fonctionnement du studio : les salaires minimums pas toujours respectés, les frictions avec la direction créative des projets développés dans l’entreprise et la gestion administrative complètement à l’arrache, entre autres choses. Nous avons tenté d’instaurer un dialogue avec la direction du studio afin d’améliorer la situation, mais elle a toujours refusé de nous écouter. Face à ce refus de discuter, nous avons fait appel à un avocat dans l’espoir de raisonner la direction, notamment sur des points du Code du travail, et recadrer les négociations.
Après avoir eu l’impression que ça avait fonctionné, avec une légère amélioration dans les échanges, nous nous sommes rendus compte que la direction était juste en train de temporiser. Aujourd’hui, le 14 février 2018, après avoir reçu nos fiches de salaire avec 2 semaines de retard, au lendemain de la sortie du dernier DLC de Steel Division, nous avons constaté le résultat de la dernière magouille en date. C’est ce qui a cristallisé notre ras-le-bol, et nous avons spontanément décidé de nous mettre en grève à la mi-journée, grève qui sera suivie sur la journée de demain.
F : Est-ce que les évènements actuels dans l’industrie, comme l’affaire Quantic Dream ou la création du STJV, vous ont inspiré dans ce coup d’éclat ?
E : Avant tout, l’élection des délégués du personnel nous a permis de nous exprimer d’une seule voix face à la direction. C’est quand nous nous sommes rendus compte que le dialogue que nous avons essayé de mettre en place était complètement ignoré que notre ras-le-bol s’est progressivement transformé en réclamations, puis aujourd'hui en action. La libération de la parole dans l’industrie et les enquêtes qui ont été publiées à propos de Quantic Dream n’ont fait que confirmer ce que soupçonnions déjà, à savoir que notre situation était loin d’être unique au sein des studios français.
F : Pour devancer les trolls, pourquoi n’en parler que maintenant ?
E : C’est exactement comme Canard PC le disait dans son article, l’industrie est petite et une mise à l’écart est vite arrivée. Individuellement, nous sommes trop exposés pour faire des vagues, mais en bloc, on craint moins les coups. Aujourd'hui, l’élément déclencheur reste le sursaut de colère des employés du studio face aux dernières manœuvres de la direction. Mais on ne veut pas arrêter le mouvement, et maintenant on sait que des structures comme le STJV sont prêtes à nous soutenir dans ce genre d’initiatives.
F : Merci d’avoir répondu à nos questions, je vous laisse le mot de la fin.
E : Dans le jeu vidéo, on travaille par passion…
*Le prénom a été modifié.
EDIT : La réponse de Eugen Systems
EDIT 2 : La réponse des grèvistes