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Un Rédacteur Factornews vous demande :

TEST

Wednesdays

Fougère par Fougère,  email  @JeSuisUneFouger
 
J’annonce, ce test va être weird et personnel. Je vais parler à la première personne, de ma vie, de moi, et probablement éviter l’humour. Bref, pas du tout ce qu’on fait normalement sur Factornews. Mais quand on veut causer de jeux comme Wednesdays, qui est weird et personnel, il faut se mettre sur la même longueur d’onde.
Pour respecter le contrat rédacteur-lecteur, je vais quand même pitcher le jeu, et donner “l’avis de la rédaction”. Wednesdays est un jeu à moitié en pixel art, à moitié en BD dynamique, très simple et direct : une partie “gestion” qui vous fait construire un parc d’attractions, et une partie “souvenirs” qui vous présente des scènes de la vie de Tim, le personnage principal. Et il lui est arrivé des choses pas normales dans son enfance, des choses qu’il a finalement réussi à digérer et dont il commence à discuter après que des dizaines d’années se sont écoulées. Le but du jeu : comprendre ce qu’il s’est passé exactement.

Si ce bref paragraphe et un coup d'œil sur la page Steam du jeu vous rendent curieux, foncez y jouer. Et même si ce n’est pas le cas, vous devez jouer à Wednesdays, sortir de votre zone de confort et laisser sa chance à ce petit bijou. Il coûte 10 euros et dure moins d’une heure et demie, vous n’avez aucune excuse. En plus, il va me permettre de réaliser une prouesse inattendue : passer plus de temps à écrire un test qu'à jouer au jeu.



Voilà, mes obligations contractuelles étant terminées, à partir de maintenant je vais spoiler le jeu, son propos, son scénario et toutes les émotions très compliquées qu'il m’a fait ressentir. Donc, petit avertissement d’usage : les personnes sensibles sur les sujets touchant aux violences sexuelles, je vous conseille d’arrêter ici votre lecture. Ensuite, je vais parler de MON ressenti vis-à-vis du jeu, et comment je perçois et interprète son message à travers le prisme de mon expérience. Je n’essaye pas de vous convaincre de quelque chose ou d’imposer un point de vue. On est au clair ? Let’s go.

Wednesdays est un jeu à propos de l’inceste, et des conséquences de ce que Tim a vécu pendant des années quand il se rendait tous les mercredis chez son cousin, Giovanni. Je reviendrai sur cet aspect du titre un peu plus tard, ce n’est pas ce qui m’a le plus marqué à propos de cette expérience. Ce qui m’a le plus secoué, c’est la maestria déployée dans sa réalisation, qu’on pourrait presque qualifier de sommaire, mais qui est blindée de symbolisme. Le nombre d’actions dans la partie gestion est très limité, avec des graphismes et des animations minimalistes, tandis que la partie souvenirs se résume à des scènes fixes ou du texte qui défile, le joueur devant régulièrement choisir une option de dialogue pour faire progresser la conversation.

Toute cette simplicité, cette absence de superflu, permet de rendre le propos d’autant plus impactant, et ça a clairement été fait à dessein. Du reste, Wednesdays se permet d’aller presque chercher un statut de Gesamtkunstwerk, et je pense sincèrement qu’utiliser un autre médium que le jeu vidéo n’aurait pas aussi bien fonctionné. Les temps de pause dans le parc entre deux souvenirs, les options de dialogues qui se métamorphosent parfois, la “durée de vie” super courte, tout ça concourt à mettre en place un terrain propice pour accomplir ce que toutes les œuvres d’art essayent de faire depuis la nuit des temps : laisser une marque. Et, je pense que vous l’aurez compris, ça a TRÈS bien fonctionné sur moi.



Mais c’est là qu'on arrive au coeur du problème : comment est-ce que je peux être sûr que ça fonctionnera sur vous, au point de conseiller à TOUT LE MONDE de lui laisser sa chance ? Si on me demande mon avis, je répondrai que le jeu réussit à transmettre un message clair, sans pathos, sur un sujet aussi tabou que l’inceste, et que c’est le premier truc qui m’a secoué dans cette expérience. Mais cette réaction vient de quelqu’un avec mon vécu, et malheureusement, c’est loin d’être la première fois que j’entends le témoignage de quelqu’un ayant subi des événements traumatiques. J’ai été l’épaule compatissante et l’oreille attentive de nombreuses personnes à travers les années, et le confident de multiples cruautés, vices et autres blessures que l’âme humaine est capable d’imaginer pour tourmenter son prochain. Vous allez me dire que tout le monde a déjà eu ce genre de conversations, avec un ami, de la famille, etc. Mais pour ceux à qui ça n’est jamais arrivé, ou qui n’ont pas été confrontés à des traumatismes de ce type, ça reste un sujet extrêmement délicat à aborder.

Sauf que les développeurs savent ce qu’ils font, et ils résolvent le problème en donnant aux joueurs les outils nécessaires pour gérer ce genre de situation. Tout d’abord, les souvenirs ne se débloquent pas dans l’ordre chronologique. Il faudra attendre la fin du jeu pour avoir une vision complète et compréhensive de sa narration, ce qui évite de créer la tension associée à la vue d’ensemble. Mais surtout, on suit le personnage de Tim, et on est donc spectateur du reste de sa vie, de son quotidien, de son “normal”. À travers les années, on assiste à des scènes banales, qui auraient eu leur place dans la vie de n’importe quel quidam. Cela crée une conversation avec le spectateur, un échange entre les développeurs et le joueur, et c’est là que la magie a opéré sur moi.

Je suis quelqu’un de profondément curieux, à un point qui m’a posé (et me posera probablement dans le futur) de sérieux problèmes. Mais c’est plus fort que moi, je veux tout savoir, quel que soit le sujet. Mon cerveau m'envoie des centaines de questions dans la tronche tous les jours, plus de la moitié complètement ineptes ou débiles, voire malaisantes, mais je suis sincèrement intéressé par les réponses, parce que je suis curieux. Et donc forcément, c’est une énorme source de frustration, parce que des petits trucs comme la Réalité™ ou un Sens Moral™ m'empêchent d’avoir accès à un gros paquet de réponses. Et Wednesdays répond à toutes les questions que je pourrais me poser à propos de l’inceste, sans jugement et avec un ton qui est douloureseument sincère. En restant pudique (et sans mettre complètement le sujet de la sexualité sous le tapis), ce témoignage démystifie le tabou et invite à une prise de conscience qui permet presque de comprendre l’incompréhensible.



Le troisième thème abordé dans le jeu pour assister le joueur, c’est une réflexion sur le concept de “normalité”. Vivre et grandir dans notre réalité, c’est internaliser de façon passive le concept d'une vie “normale” : apprendre des trucs quand on est jeune, les appliquer pour trouver une activité qui permet de répondre à ses besoins en tant qu'adulte, idéalement trouver un.e partenaire de vie, fonder une famille et s’en occuper dans la dernière partie de sa vie. Ajoutez là-dessus quelques notions de morale basique, un peu de savoir vivre civique, le respect du Contrat Social™ et vous obtenez le moule grossier pour une existence “normale”, partagée par une majorité des humains depuis quelques centaines d’années.

Sauf que vivre dans notre réalité, c’est aussi comprendre que cette “normalité” est juste un concept, une construction hypothétique qui n’est absolument pas applicable de manière pertinente. La réalité est vécue d’autant de manières différentes qu’il y a d’individus, chacun ayant une définition unique et personnelle d’une “existence normale”. Au mieux, on peut essayer de comparer le degré de différence entre la “normalité” individuelle et celle, très nébuleuse, qui est partagée. Mais là où le concept peut s'avérer utile, c’est pour définir tout ce qui n'est pas "normal". Car même avec cette définition très étendue et flexible, on peut facilement tomber d’accord sur pas mal de choses qui ne rentrent définitivement pas dans le cadre de la "normalité".

Pour faciliter la lecture, je vais utiliser le terme weird pour qualifier ce qui est “non-normal”, sans aucune notion de jugement de valeur ou de morale. Ce qui est weird, c’est ce qui n’est pas inclus dans le périmètre du “normal”, quand la différence avec la norme est trop grande pour que la comparaison soit valide. Donc, les choses sont soit normales, soit weird, sans zone de gris au milieu. Je pourrais vous faire des métaphores à base de pièces et de faces, mais ça serait trop facile. Pourquoi weird et pas bizarre, ou étrange ? Parce que. Et personnellement, j’adore le weird. Les expériences, les choses, les connaissances, plus ça me surprend, plus ça me passionne.



Mais surtout, j’aime par dessus tout les gens qui sont uniques, différents. Finalement, toute cette exposition a fait de moi quelqu’un d’assez weird, un statut que je revendique avec fierté. Une de mes amies m’a un jour défini comme étant “trois paradoxes dans un hoodie”, et je ne pense pas qu’on trouvera de meilleure tagline à mon sujet. Mais je m'égare. Maintenant que je vous ai exposé une partie de ma vision binaire du monde, un peu de logique simple : si le weird est l'opposé du normal, on peut se servir d'une partie de l’un pour définir la même partie de l’autre. Si le normal encourage la conformité à un modèle, le weird va tendre vers la tolérance de la différence. Là où le normal va utiliser l’esprit de groupe, le weird va exploiter le potentiel individuel. Et donc, là où le normal va permettre aux individus de partager une perspective, le weird va leur permettre d’avoir conscience du weird en tant que tel.

La conscience du weird, c’est la capacité qu'ont les individus weird à prendre du recul sur eux même et leur expérience de vie, à avoir conscience du normal, de ses limites, mais surtout du degré de différence qu’il y a entre eux et d’autres perspectives sur la réalité. Et si on suit mon raisonnement, quelqu’un qui a conscience du weird est par définition weird. Pourquoi est-ce que je m’éreinte à vous expliquer tout ça ? Parce que cette conscience du weird, elle est présente dans le jeu, à travers des personnes qui ont un cube à la place de leur tête. Ces cubes sont constitués de différentes matières, certains en bois, certains en verre, d'autres représentés juste par un bloc solide de ténèbres. Sauf que dans le contexte du jeu, ce symbole représente quelque chose de beaucoup plus concret et sérieux, toutes les personnes qui ont été victimes d’inceste. Et le message des développeurs est très explicite : elles sont beaucoup plus nombreuses que ce que vous pensez.

Toutes ces personnes avec un cube à la place du visage, ce sont celles qui n’ont jamais eu le temps d’acquérir les bases de la “normalité”, car leur vie a été radicalement altérée par le trauma qui résulte de cette expérience et de la prise de conscience associée. À travers Tim et son histoire, on peut être témoin au cours des années de ce processus, mais surtout, se rendre compte qu’il n’a pas l’air de vivre une vie si différente. Il est proche de sa famille, a des amis qu’il conserve en vieillissant, et continue de mûrir comme une personne bien ajustée à la vie en société. Mais Tim a un cube à la place de la tête, et c’est exactement ça qui fait la différence entre “avoir l’air de vivre une vie normale” et “vivre une vie normale”.
Wednesdays, c’est un petit Miracle™ de l’existence qui me rend heureux d’être en vie. C’est une expression pure et puissante d’un des aspects de la nature humaine qui m’enchante le plus, celui de vouloir laisser une marque. C’est un groupe de personnes qui se sont rassemblées, et ont décidé qu’elles avaient un message important et réel à faire passer. Et elles trouvent le moyen de le faire sans jugement, sans pathos, de manière claire et directe. Wednesdays, c’est transcendant et vous serez un peu plus humain après y avoir joué.
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