ARTICLE
Prise Chaude : Tu ne tueras point
Ma dernière prise chaude portait sur l’Acte de Tuer, dans laquelle je m’étais un peu questionné, verre de vin dans une main, cigare dans l’autre, lunettes « pour faire intellectuel » au nez sur le sens de cet acte et sa signification dans notre médium favori. Cette fois, pour marquer le retour de la rubrique, et aussi parce qu’on est nombreux à avoir passé une (voire deux) année merdique, je vais essayer d’aborder un thème puissant, un thème sur lequel se sont bâties des sectes à l’échelle mondiale, un thème sur lequel se sont envoyés des hectolitres d’eau bénite : aujourd’hui, on va parler d’Amour de notre prochain, et comment celui-ci va influencer notre manière de jouer.
« Prise chaude », ça veut dire « hot take » en langage Twitter. Plutôt que de réserver nos réflexions à ce réseau social inconfortable, nous avons préféré vous les partager ici, sans contrainte de forme, une manière de marcher dans les traces de notre Hellpé national, qui s’y était risqué avec son article sur No Man’s Sky. Ça ne va pas forcément quelque part, mais ça nous permet de déplacer le débat chez nous. N’hésitez pas à nous dire ce que vous en pensez !
En tant que joueur, dans les titres qui me proposent d’incarner un personnage déjà existant, je « signe » un pacte avec celui-ci dans lequel je m’engage à le personnifier au plus juste vis-à-vis de sa personnalité, ses traits de caractères et émotions. Et quelquefois, ça frise un peu la maniaquerie. Tenez, par exemple, lorsque j’écrabouille un piéton dans une mission de Grand Theft Auto, je relance au dernier checkpoint. Franklin, ou plutôt mon Franklin, est un génie de la conduite, il n’écrase pas des gens parce qu’il a trop serré à droite dans un virage. Comme un violoncelliste qui suit une partition à la lettre, la moindre fausse note sur la narration que j’élabore casse l’harmonie de la relation avec mon personnage et me force à reprendre à zéro. (Paf, d’un coup vous les sentez non, l’odeur du vin et du cigare ?)
Lors de la fameuse scène de l’aéroport de Call of Duty : MW2, j’avais tiré, et tiré et tiré… en l’air pour faire semblant, mais jamais sur la foule. En effet je pense que c’est ce qu’aurait fait mon soldat Arnold Sylvester Willis. Sauver l’Amérique, okay, mais pas en tuant des civils. Que les méchants Russes se rendent compte que j’étais un traître m’a du coup paru assez normal. Ouille. Dommage d’ailleurs que la fin de la séquence ne soit pas modulée par ça d’ailleurs : tirer sur le foule vous amène quand même à vous prendre une balle dans le front, en plus d’avoir des remords.
En tant que joueur, dans les titres qui me proposent d’incarner un personnage déjà existant, je « signe » un pacte avec celui-ci dans lequel je m’engage à le personnifier au plus juste vis-à-vis de sa personnalité, ses traits de caractères et émotions. Et quelquefois, ça frise un peu la maniaquerie. Tenez, par exemple, lorsque j’écrabouille un piéton dans une mission de Grand Theft Auto, je relance au dernier checkpoint. Franklin, ou plutôt mon Franklin, est un génie de la conduite, il n’écrase pas des gens parce qu’il a trop serré à droite dans un virage. Comme un violoncelliste qui suit une partition à la lettre, la moindre fausse note sur la narration que j’élabore casse l’harmonie de la relation avec mon personnage et me force à reprendre à zéro. (Paf, d’un coup vous les sentez non, l’odeur du vin et du cigare ?)
Lors de la fameuse scène de l’aéroport de Call of Duty : MW2, j’avais tiré, et tiré et tiré… en l’air pour faire semblant, mais jamais sur la foule. En effet je pense que c’est ce qu’aurait fait mon soldat Arnold Sylvester Willis. Sauver l’Amérique, okay, mais pas en tuant des civils. Que les méchants Russes se rendent compte que j’étais un traître m’a du coup paru assez normal. Ouille. Dommage d’ailleurs que la fin de la séquence ne soit pas modulée par ça d’ailleurs : tirer sur le foule vous amène quand même à vous prendre une balle dans le front, en plus d’avoir des remords.
Press « X » to save the world
Diriger un personnage avec lequel on se sent raccord, c’est une chose. Mais qu’en est-il lorsque le jeu me laisse le choix de qui être ? Là, c’est la débandade mes amis. Irrémédiablement, de manière systématique, je ne parviens pas à faire le mal. Impossible pour moi. Dans la vie je suis quelqu’un de bien (d’après ma maman), même s’il m’arrive de traverser quand le petit bonhomme est rouge et de crier au volant (on est français après tout). Je me souviens avoir tenté d’être un homme mauvais dans Fable. J’ai tenu environ 15 minutes. Au premier dilemme moral du jeu (très manichéen, Peter Molyneux si tu m’entends, de la nuance, un peu de nuance !), j’ai abandonné mes oripeaux de méchant à la faveur du bien commun. J’avais même terminé Fable II en faisant le choix de sacrifier ma famille pour sauver le monde. Un chic type.
J’ai fait de mon commandant Shepard dans la trilogie Mass Effect un parangon absolu du Bien avec un « B » majuscule, une espèce d’élu de bonté et de justes sentiments. Je pense avoir eu une aventure la plus parfaite possible. Jamais un mot au-dessus de l’autre, toujours bonjour, toujours bonsoir, une forme de mesure et de rigueur permanente. Lorsque les Moissonneurs sont arrivés, tout le monde était prêt et droit dans ses bottes. J’ai pris beaucoup de plaisir à jouer de cette manière, mais est-ce que ça a rendu mon Héros intéressant ? Pas forcément : Les personnages qui font le bien sont généralement beaucoup plus lisses, avec moins d’aspérités que ceux qui ont des fêlures et commettent des erreurs. Mon Shepard, c’était en quelque sorte Jake Sully dans Avatar. (Je vous laisse sentir la goguenardise de cette assertion, pendant que je vous offre une autre cigarette.)
Jesus Christ Danton
Ce vice « du bien », je l’ai poussé jusque dans MGSV, qui propose tout un arsenal de matériel létal. Je n’en ai utilisé qu’à peine un dixième : Exit les quadruples lance-roquettes, bonjour le fusil à gomme qui assomme. C’est la mécanique de recrutement qui m’a empêché de mettre à mort autrui. Si tous les soldats pouvaient potentiellement rejoindre l’armée de Big Boss, ça veut dire qu’aucun n’était fondamentalement mauvais... et donc aucun ne méritait le trépas. C’est bien l’un des « pouvoirs » non avouable que nous offre le jeu vidéo. En tant que démiurges (bouffée de cigare) de nos propres univers, nous savourons ce plaisir étrange de pouvoir le moduler à notre image, d’exercer notre droit de vie ou de mort sur son environnement et ses habitants.
J’ai fait exactement la même chose dans tous les Deus Ex. J’ai fait tout Deus Ex 1 muni de la matraque pour ne jamais abattre la moindre personne, j’ai recommencé plusieurs fois la scène de l’appartement pour réussir à sauver mon frère. Rebelote dans Human Revolution et Mankind Divided où j’ai fait toute l’expérience armé de mon taser et de prises de « Kung-FuTuriste » douces pour le pouls mais violentes pour les cervicales.
D’où le questionnement que si la possibilité de faire des runs « propres » dans ces œuvres existe, elle n’est pas forcément le chemin le plus optimal en termes de plaisir de jeu. En effet, les développeurs travaillent avec acharnement à ce que nous, joueurs, ayons à notre disposition un éventail complet d’outils, à même de renouveler l’amusement au fur et à mesure de son déroulement.
Ces outils, dont les procédés non létaux ne sont qu’une fraction, sont là pour nous octroyer des solutions variées et plaisantes aux problèmes que nous posent le game design et le level-design. Du coup, je me suis souvent retrouvé au moment des crédits avec d’un côté la satisfaction d’avoir fait « le bien » en ne tuant personne, et en même temps l’étrange sensation d’être passé à côté de certains aspects de l’expérience.
Ce qui est intéressant, c’est que visiblement cette opposition entre la liberté offerte au joueur et l’existence des principes moraux qui peuvent la limiter (remise des lunettes sur le nez) semble aussi concerner les designers, notamment chez nos amis d’Arkane Studio.
Ces outils, dont les procédés non létaux ne sont qu’une fraction, sont là pour nous octroyer des solutions variées et plaisantes aux problèmes que nous posent le game design et le level-design. Du coup, je me suis souvent retrouvé au moment des crédits avec d’un côté la satisfaction d’avoir fait « le bien » en ne tuant personne, et en même temps l’étrange sensation d’être passé à côté de certains aspects de l’expérience.
Ce qui est intéressant, c’est que visiblement cette opposition entre la liberté offerte au joueur et l’existence des principes moraux qui peuvent la limiter (remise des lunettes sur le nez) semble aussi concerner les designers, notamment chez nos amis d’Arkane Studio.
Libéré, Délivré
Visiblement portés par la vague des « jeux à conséquence », lorsque Arkane sort Dishonored en 2012, le titre héberge tout un panel de concepts à même d’offrir des répercussions aux actes des joueurs, via le système de Chaos.
Au sein de Dunwall, chaque mort d’un civil, chaque exécution d’un garde va faire grimper une jauge qui va influencer le déroulement de la partie et son dénouement. Ainsi, tuez beaucoup de personnes, et l’Outsider vous parlera plus durement, il y aura plus de rats et de macchabées dans les rues, les dessins d’Emily seront plus sombres. La fin du jeu dépend directement du nombre de cadavres que vous allez laisser derrière vous.
Le problème dans tout ça, c’est que fondamentalement, le caractère systémique du gameplay de Dishonored 1 et 2 brille le plus lorsque l’on utilise tous les outils à notre disposition, et donc que l’on assassine en vire-voletant de toit en toit, que l’on fige le temps pour que les gardes se prennent leurs propres balles, etc. Je serais curieux de savoir si cette ambition de forcer à rendre le bien moins fun était une volonté de design dans le titre, toujours est-il qu’objectivement, c’est moins divertissant.
En plus de statistiques de fin de niveau montrant le nombre de cadavres qu’on a laissés derrière soi, combien de détections on a subi, Dishonored embarque avec lui un succès à débloquer qui enferme un peu plus l’expérience : « Mains Propres », succès qui impose de faire tout le jeu sans tuer personne. Dans la même veine, développé par Arkane Austin cette fois, Prey propose une aventure qui est modulée par nos actions et nos choix, avec un final qui va changer du tout en tout en fonction de ceux-ci.
Là, on arrive au moment ou vous posez votre cigarette sur le cendrier pour m’interpeller, d’un ton railleur « Mais enfin, cher Rozzo, permettez-moi de glisser deux choses : d’une, vos lunettes retombent de votre nez, de deux, le conflit entre la morale et le fun n’existe que dans votre cerveau, les outils sont à disposition du joueur et c’est à lui de les utiliser, ou non ! ». Ce à quoi je vous répondrais d’un ton qui est celui des joutes de l’esprit que si la satisfaction est différente et le plaisir que l’on en retire également, la suite des pérégrinations d’Arkane dans ces territoires témoigne d’une certaine prise de conscience.
Avec la sortie de Death Of The Outsiders, Arkane paraît changer son fusil d’épaule en ôtant purement le système de Chaos spécifique à la série, alors que rien ne semble justifier narrativement cette mutation (Billie Lurk est une machine à tuer identique à Corvo/Emily et les enjeux des missions sont similaires). Le Succès « Mains Propres » est maintenant appliqué a une seule mission, plutôt qu’au jeu en entier. Affranchi de ce système à la fois juge et bourreau forçant le joueur à choisir entre une expérience totale et une bonne fin, Death Of The Outsiders permet de plus expérimenter, et offre paradoxalement plus de lattitude sur comment aborder chaque objectif. A ce titre, le pouvoir unique de Billie, à savoir sa capacité à prendre l’apparence d’un ennemi est une très bonne réponse à notre problématique.
Enfin, avec Deathloop, sous la direction de Dinga Bakaba, Arkane semble s’affranchir de la direction imposée par la vision d’Harvey Smith et Raphael Colantonio, en libérant le déroulement de l’aventure de toute conséquence. Colt et le joueur étant piégés dans un loop qui va tout remettre à zéro le lendemain, rien n’a d’importance, et tout devient possible. Libéré de tout système de Chaos, de toute morale, on est libre, toujours, à chaque instant de s’amuser avec les systèmes de jeu, de les tordre à loisir. Sur une manche, on peut se laisser aller à tout traverser tel un fantôme, de l’autre, on peut s’encanailler (On arrive à la fin de la bouteille là) à tout défourailler en glissade. Pour un zigoto comme moi, cette délivrance morale m’a permis, pour la première fois, de pleinement profiter de tout ce qu’un produit Arkane peut offrir de systémique.
Au final, à la manière dont From Software a épuré sa formule avec Sekiro, Arkane a, jeu après jeu, assaini ses systèmes pour mieux laisser les joueurs gérer leur « style » ainsi que leur compas moral. Et pour un joueur comme moi, c’est libérateur. Cependant, la manière dont Arkane a « éludé » cette question des conséquences aux actes, reste malgré tout une manière élégante de décaler quelque peu toute la problématique. En commençant cet article, je ne me suis pas rendu a quel point celui-ci et ma précédente prise sur l’Acte de Tuer étaient liés, car au final ces deux thèmes, à un an d’intervalle, semble nourrir une idée plus large qui est celle du choix et des conséquences, dimension ô combien importante dans notre passion commune.
Je crois que je pourrais encore déblatérer des heures durant sur ce sujet, mais tout d’abord je ne voudrais pas prendre plus de votre temps, ensuite le vin vient à manquer, et finalement, au bout de quelques heures les fauteuils font un peu mal au cul. Je vais vous laisser le soin de trouver une conclusion à toute cette déclamation, de mon côté une partie de polo m’attend avec le troisième âge du Rottary Club. Merci aux membres de Factornews qui offrent un peu de leur argent chaque mois, c’est grâce à votre salaire qu’on a pu me payer Deathloop, le cigare, et la bouteille, et donc cet article. Si vous avez détesté ma prose, n’hésitez pas à donner encore plus d’argent : pour 200 € de plus par mois, promis, j’arrête mes tirades maladroites.