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Portrait : qui est Rémi Forcadell ?

Tonuglin par Tonuglin,  email  @TitouanGourlin
Grâce à Pikuniku, son jeu d’aventure 2D humoristique et bondissant sorti le 29 janvier 2019, Rémi Forcadell a connu un petit succès d’estime. Pourtant, avant sa rencontre avec son co-développeur, Arnaud De Bock, le français de 24 ans détruisait les rares créations qu’il terminait. Portrait d’un touche-à-tout.
D’où sort Pikuniku ? D’où lui vient ce ton décalé ? Un début de réponse tient dans la biographie de son auteur principal, un véritable enfant des internets. Depuis les années collège, Rémi Forcadell, 24 ans, a pour saine habitude de « fabriquer des trucs ». Il tourne des vidéos absurdes, enregistre des morceaux de musique aux accents électro pop (comme l'excellent "confiance en soi" dont Pipomantis de GK rêve d'une version de 10 minutes), et développe des jeux complètement cassés. Une seule règle semble présider : publier ses créations sans jamais vraiment les finir, juste pour le plaisir.

On le retrouve dans une vidéo de 2014 intitulée sobrement « pop ». Canapé Ikea, murs blancs, coupe de cheveux carrée, il apparait le visage éclairé par la lumière bleue d'un écran. Dans un geste qui trahit une improvisation toute mesurée, le jeune homme lance d'une main un air de synthé, guitare et boite à rythmes tout droit tiré des années 80. Le vidéaste enfourche alors un casque audio et attrape un micro pour chanter des idées stupides d’un air de faux crooner. Il susurre des banalités : « viendras-tu chez moi, après les cours, juste après l'école on ira écouter The Cure. » Au milieu du morceau de 49 secondes, Rémi s'interrompt pour boire du jus de fruit à la bouteille, tandis qu'à sa droite, l'incrustation d'un avatar de femme se trémousse. Ces quelques secondes peuvent résumer presque à elles seules le style Rémi Forcadell : foutraque, absurde et pop.

Du pastiche au hit indé

Mais depuis janvier 2019, celui qui était connu d’une mince communauté pour ses pastiches, s’est illustré sur un tout autre tableau. Il a co-créé un jeu vidéo : Pikuniku. Le principe ? Une promenade loufoque en 2D d'une poignée d'heures. Les joueurs y incarnent un petit bonhomme rouge qui affronte un capitaliste inspiré d'Elon Musk distribuant « de l'argent gratuit » par voie de drones. Edité par Devolver Digital, Pikuniku s’est vendu à près de 70 000 exemplaires (A titre de comparaison, Celeste, gros hit indé de l’année 2018 annonçait début 2019 s’être écoulé à 500 000 exemplaires).
Rencontré en juin 2019 à la table d’un salon de thé à tendance anarchiste non loin de son appartement de Belleville, le jeune homme apparait immédiatement plus réservé que ses vidéos le laissaient paraitre. Baskets Adidas, t-shirt noir uni, et chaussettes orange vif. Il parle à voix basse, comme pour ne pas déranger.



D’où lui viennent ces idées jetées dans tous les sens ? D’un « tempérament très impressionnable », pense-t-il. « J'essaye toujours d'imiter ce qui m’impressionne dans un jeu, un film ou autre, mais sans forcément me rendre compte de la difficulté » explique le créateur. Un avantage comme un inconvénient en somme. Cette tendance naturelle lui permet d’apprendre des techniques trop complexes pour lui. « Je vois un truc que je veux imiter, et là, comme c’est beaucoup trop compliqué, je me prends un mur. Alors je repars dans une autre direction, où je vais me reprendre un mur et ainsi de suite » décrit-il. Cette envie d’imiter peut lui faire perdre pas mal de temps. Mais selon Alan Zuconni, spécialiste du moteur Unity qui a suivi la création du jeu comme consultant, c’est plutôt une force. «Rémi ne s’arrête pas au premier problème » confie l’universitaire. « En tant que professeur, je vois beaucoup d'étudiants faire cette erreur : ce n'est pas son cas. »

Pseudos en pagaille

Ses comptes twitter et facebook témoignent d’une certaine frénésie. Il y poste constamment ses délires d’un soir : gifs, expériences, photos interactives en 3D et vidéos à peine montées. L’ensemble est toujours foutraque, mais pas dénué de charme. On peut retrouver la plupart de ses délires sur un site à son nom : remiforcadell.com.  L’occasion de voir que la plupart de ses projets s'accompagnent de pseudos en pagaille :  Les deux principaux sont siobuderdnaxela (Alexandre Dubois à l'envers) sur youtube et Gagoug pour la musique. « J’en ai parlé avec mon psy, parce que je faisais pas mal de faux profils à une époque » pose-t-il soudain sérieux. « Ce sont des noms qui me passent par la tête, c’est comme tout le reste, si ça me plait, je le fais. »



En 2016, à force de poster frénétiquement tous les concepts lui passant par la tête, il finit par taper dans l’œil du développeur Arnaud De Bock. Il a notamment travaillé sur la série à succès de jeux mobiles Reigns. « Je le suivais depuis son jeu de volley avec des girafes » se rappelle ce dernier. « Un jour il a posté un gif avec le petit personnage et sa démarche étrange, et je l'ai contacté ».
Après la sortie de Piku, Rémi se remémore ce moment dans un tweet :
 
but! i worked a bit more on the walk system with a simpler character, and adding some details
here, the feet get the angle of the surface they're going to land on, and rotate accordingly pic.twitter.com/ecGZxFMPVg
— rémi (@ok_remi_ok) February 25, 2019


Les deux compères montent un prototype à partir du personnage de Piku en un mois et l'envoient chez divers éditeurs. Finalement, Devolver Digital, habitué des indés un peu expérimentaux, adhère et prend le jeu sous son aile.

« Je passais la journée dans le noir à tester des trucs »

Une immense chance pour laquelle de nombreux développeurs tueraient. Pourtant, un mois plus tôt, Rémi était au bout du rouleau. Il venait de lâcher son école d'art à Poitiers, l'EESI. « Je passais mes journées dans le noir à tester des trucs. » Là, lui vient l'idée qui sera au cœur du jeu : la démarche du petit bonhomme rouge. Une « marche procédurale », c'est-à-dire non pas une marche pré-calculée par l'ordinateur, mais régie par des règles physiques. L’objectif : rendre le simple fait de se déplacer amusant et ouvert à l’expérimentation du joueur.



Si le ton du jeu est plutôt rigolo, sa genèse vient donc d’un intense moment de désespoir dans la vie de Rémi : « J'ai voulu faire ça pour réapprendre à marcher. J'étais tellement mal que j'avais l'impression de ne plus savoir me déplacer normalement. » Une mélancolie douce-amère que le jeune développeur porte en lui, comme lorsqu'il raconte sa journée d'appel à la défense : « J'ai fait un truc que je fais jamais d'habitude » raconte-t-il. « J'ai brisé la glace. Ça a permis aux autres de se mettre à se parler. Et ils m'ont plus du tout adressé la parole de la journée. Ce n'est pas un super souvenir. »

Rémi fait ce qu'il lui plait

Car Rémi n’est pas que rire et parodie. S'il construit et produit beaucoup, il détruit encore davantage. « Lorsque je bidouille, j'ai toujours un moment où ça me saoule et où je rajoute des trucs tout cassés pour rigoler » Lorsqu’il ne laisse tout simplement pas tomber. Il mentionne ce jour où après six ans de conservatoire à Marly (78), il quitte la salle en passant par la fenêtre à cause d'un examen raté. « J'ai été viré » nuance-t-il d'un air goguenard. Son ami Benjamin Millot (alias Kismyder) s’avoue heureux qu'il n'en ait pas été ainsi pour Piku « C'est un de ses défauts d'abandonner un projet au détriment d'un nouveau. Il semble réussir à mieux se contenir depuis quelques temps ».



Ce défaut aurait pu amener Piku à ne jamais voir le jour. Après un an de développement, au revenir d'un voyage à la Game developers conference (GDC) Rémi veut « tout péter et recommencer » se remémore-t-il. « Arnaud n'était pas très content, mais je trouve le jeu meilleur. »  Avant ce grand chambardement, les joueurs ne devaient parcourir qu'un seul village, sorte de grand hub concentrant l'histoire, alors que l’actuel Pikuniku est divisé en plusieurs niveaux.

Pikuniku, fruit de la colère

Dans une formule poétique, le bellevillois concède que ce n'est pas évident de travailler avec lui : « Pikuniku est le fruit de la colère entre moi et Arnaud » jette-t-il. « On s'engueule tout le temps. C'est notre manière de travailler » commente, débonnaire, Arnaud De Bock. Le développeur de 38 ans attribue ce fonctionnement un brin explosif à leur « différence d'âge » et de background. Lui, a longtemps travaillé dans le marketing et Rémi est passé par des écoles d’art. Par ailleurs, le jeune développeur de 24 ans possède « des opinions sur tout. Il est musicien, il est écrivain, il sait coder, il sait designer, c'est quand même dur pour lui de pas avoir d'opinion sur des choses » admet Arnaud De Bock.

Fruit de la colère, mais pas seulement. Au cours du développement de Piku, étalé sur plus de deux ans, Arnaud De Bock semble agir comme un catalyseur face au tempérament explosif de Rémi Forcadell. « Quand on se voit dans la vraie vie ça va » modèrent les deux. L'équipe a travaillé à distance via Skype et Slack. Ils ne se sont pas vus avant trois ou quatre mois de développement. Et encore, pas pour travailler sur le jeu mais pour le présenter lors de conférences comme les PAX ou la GDC. A terme, une forme de synergie s’installe, ainsi qu’une séparation des tâches. Rémi est l'écrivain du jeu, celui qui apporte le ton, l'idée générale et le concept. Arnaud, lui, s'attache au gameplay, à la manière de jouer. « On a deux points de vue complètement opposés qui viennent se rentrer dedans, c'est ça qui fait que c'est intéressant » juge Rémi Forcadell.

« L'argent, y’en a dans tous les jeux »

Mais face à certains choix fondamentaux, difficile de céder du terrain à l’autre. Arnaud voulait un moyen de guider le joueur dans les niveaux et trouvait qu’il s’agissait d’une bonne idée de mettre des pièces. Rémi n’était pas de cet avis : « des pièces, il y en a dans tous les jeux », tranchait-il. Arnaud a tenu bon et Rémi a réécrit l’histoire de manière à souligner que l'argent, ça ne sert à rien dans son jeu, d'où l'argent gratuit. En somme, Rémi s’est débrouillé pour détourner avec humour l’idée qu’on lui imposait.
Pas de quoi fâcher non plus les deux développeurs, qui ne sont ni l’un ni l’autre contre l’idée de retravailler ensemble. Si Rémi souhaite se consacrer plus sérieusement à la musique, il ne s’interdit pas d’expérimenter divers concepts avec son co-développeur. Sans trop savoir pour le moment si un jeu sortira de ces réflexions. Le temps qu’ils se mettent d’accord sur la présence de pièces dans les niveaux.
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