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Nintendo of America est-il devenu le Château de Bowser ?
par Laurent & Buck Rogers,
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Comme des catcheurs qui font mine de se haïr sur le ring et qui sont potes dans la vraie vie, on avait bien compris que Mario et son ennemi juré Bowser faisaient semblant de se battre pour pouvoir vendre plus de jeux vidéo à un public conquis. J'en veux pour preuve que le petit moustachu a placé Bowser à la tête de Nintendo of America (NOA), un signe que la suite des évènements n'allait pas se dérouler comme au Royaume Champignon. Mario serait-il-lui aussi un exploiteur cynique ?
Pour être précis, la situation chez NOA a commencé à nettement se dégrader dès 2015, alors que Reggie Fils-Aimé en était encore le Directeur. Ce sont deux plaintes qui ont particulièrement attiré l'attention de Kotaku, d'IGN et de Gamesindustry.biz. La première portée contre Nintendo et la société de recrutement Aston Carter déposée en avril 2022, et la seconde contre Nintendo seulement et déposée en août de cette année. Toutes deux font état de situations de menaces, représailles et de surveillance ainsi que de découragement de toute forme de syndicalisme envers leurs employés dans une activité supposée protégée par la National Labor Relations Act, que l'on pourrait traduire par "loi nationale sur les relations dans le travail". Ils se sont en particulier intéressés à ce qu'il se passait chez Big N aux États-Unis et on va essayer de faire un résumé du contexte et des évènements mais n'hésitez surtout pas à lire les différents articles de nos confrères, ils sont très intéressants et surtout très complets.Ce n'est pas un secret, l'industrie vidéoludique, tout comme des sociétés comme Amazon ou Google, fait énormément appel à des sous-traitants. Quand on sollicite la branche du travail temporaire, souvent on n'affectionne pas vraiment les syndicats, et alors que chez certains les choses commencent un petit peu à bouger, on était loin de se douter que NOA aussi était tellement à la traîne de ce côté-là. Pour commencer, il est souvent fait mention du sentiment pour les intérimaires d'être des citoyens de seconde zone face aux possesseurs d'un "badge rouge" (ceux qui travaillent directement chez Nintendo) bien qu'ils travaillent ensemble la plupart du temps. Ce qui doit donner l'impression aux salariés d'être dans une dystopie à la Bienvenue à Gattaca. Par exemple une employée qui avait fait une chute à cause du verglas en allant au travail, a commencé à s'inquiéter une fois au bureau puisqu'elle avait du mal à lire. Elle s'est vue refuser la clinique pourtant sur place de Big N, car elle n'était pas titulaire. Personne n'étant habilité à l'emmener à l'hôpital, en pleurs, on lui avait finalement concédé un Uber : « Ils veulent vous contrôler comme si vous étiez à plein temps, mais pas vous traiter comme un travailleur à plein temps ». Ils sont également exclus de toutes les animations organisées par NOA pour ses employés, et forcément des primes généreuses de Noël.
Ainsi le doigt est mis sur une autre problématique qui serait cocasse si elle n'était pas si tragique. La société vidéoludique serait d'après les employés qui ont témoigné, une maniaque du contrôle. Au point qu'ils seraient affolés de devoir quitter leurs bureaux ne serait-ce qu'une minute, de peur d'apparaître inactifs sur Microsoft Teams. Ils ont d’ailleurs trouvé une solution tragi-comique avec un objet qui appuie sur un bouton du clavier : « C'était comme l'oiseau d"Homer, sauf que je n'ai causé aucun problème à la centrale nucléaire... Vous ne pouviez même pas vraiment aller aux toilettes sans que quelqu’un remarque que vous étiez loin de votre bureau ». Il fallait aussi éviter de prendre des congés (trois jours de travail manqués et c'est direction la porte) et dans le cas où on avait eu la mauvaise idée de tomber malade et de devoir rester chez soi, il fallait se complaire en excuses et rester en contact. D'ailleurs, fin 2019 un employé était venu travailler malade de peur d'être licencié et il avait fini par contaminer tout le centre d'appels.
Mais pourquoi ces intérimaires subissent-ils tout cela ? Vous l'aurez bien compris, il y a la carotte de pouvoir être finalement embauché par Nintendo, sans parler de la longue file d'attente de ceux qui ne rêvent que d'être à leur place. Pourtant, beaucoup occupent des postes qui de facto devraient être occupés par des titulaires, jusqu'à des fonctions à responsabilités. Si migrer du citoyen de seconde zone à celui "d'interne" était parfois possible avant chez Nintendo of America, c'est devenu depuis 2015 un évènement exceptionnel, même pour des travailleurs qui sont là depuis cinq ou dix ans. De plus, il faut penser aussi à demander à vos proches de rester en vie, car une salariée s'est vue refuser une titularisation à cause de "problèmes d'assiduité". Elle avait eu "la mauvaise idée" de s'absenter suite au décès de sa sœur... Tous les intérimaires qui se sont prêtés à des confidences, témoignent d'une ambiance délétère, où en gros il vaut mieux se taire, parce que le moindre écrit sur un forum interne ou parole lors d'une réunion, pourra donner lieu à une convocation auprès de son supérieur, souvent synonyme de risque de ne pas faire long feu, avec des préavis de moins de 24 heures.
Jusque là, je ne faisais pourtant qu'effleurer la surface des problèmes des travailleurs temporaires de longue durée (11 mois renouvelables après 2 mois d'interruption), mais revenons aux plaintes anti-syndicales déposées à la National Labor Relations Board (commission nationale des relations dans le travail) contre Nintendo, maintenant que le décor est posé. On ne va pas s'étendre sur la deuxième plainte, l'investigation suit son cours, et nous avons pour le moment peu d'éléments. Mais la première étant plus ancienne, on va pouvoir vous en parler plus en détails.
A la fin d'une réunion, au moment des questions et réponses ouvertes, un testeur du nom de Mackenzie Clifton a interpellé Doug Bowser, le Directeur de Nintendo of America, pour lui demander son opinion sur la syndicalisation dans l'industrie vidéoludique. On lui a laissé ouvrir la porte avant de le balancer dehors manu militari. Pour justifier son renvoi en cours de contrat, Big N a stipulé que c'était dû à la divulgation d'informations confidentielles par le testeur. Mais d'après des travailleurs encore en place, l'usage de la société serait plutôt de mettre au pire un avertissement dans ce genre de cas. Aussi une partie visée par la plainte, l'agence de recrutement Aston Carter par l'intermédiaire d'un de ses responsables aurait pris la défense de Nintendo, reprochant au testeur "son écart".
Nul doute que les employés intérimaires de Big N vont devoir continuer leur calvaire encore un moment, mais pour Mackenzie Clifton cela s’est quand même bien terminé. Il a accepté un accord avec NOA et Aston Carter, et en compensation de salaires et dommages et intérêts, devrait recevoir 25 910 dollars. Vous trouvez que c'est peu ? Attendez de lire la suite. Big N a dû accepter de publier sur le tableau d'affichage principal du service Qualité un avis détaillant les droits de syndicalisation des employés pendant 60 jours, et a dû en envoyer une copie par mail. On "se régale" avec un extrait : « NOUS NE VOUS RENVERRONS PAS parce que vous exercez votre droit de nous signaler des problèmes et des plaintes en votre nom et au nom d'autres employés, y compris en ce qui concerne le thème de la syndicalisation. NOUS NE VOUS RENVERRONS PAS en raison de votre adhésion ou de votre soutien à un syndicat. ». Ainsi Mackenzie Clifton a bien eu la position de Nintendo sur la syndicalisation, mais il n'a pas eu les excuses du Directeur de Nintendo of America. Mais bon c'est normal, ça reste quand même Bowser...