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L'Édito, la main invisible au sein d'Ubisoft
Avez vous remarqué que les jeux Ubisoft, même quand ils ont des genres diamétralement opposés et des univers très différents, ont tous une couleur commune ? Comment se fait-il que la plupart des AAA de l'éditeur tendent tous vers l'open-world, que l'on retrouve des éléments de gamedesign, parfois même des pans de gameplay d'un jeu à l'autre ? Non, Ubisoft ne pratique pas le clonage d'un unique gamedesigner qu'il envoie bosser dans ses innombrables studios partout dans le monde. Il a juste un département édito.
Spin doctors ...
Le département édito, c'est 70 personnes à Paris sous la direction de Serge Hascoët, vétéran d'Ubisoft qui a fait ses armes sur Unreal (pas celui auquel vous pensez, l'autre) et le premier Rayman. Cette petite bande supervise tous les projets du groupe, apporte son expérience et y met son petit grain de sel. La politique d'open world "à la ubi", le second screen à tout va et le multi inséré dans l'expérience de jeu solo, c'est eux. Le portrait que consacre EDGE à cette éminence grise d'Ubisoft est assez angélique (mais néanmoins intéressant) : des gens pointus, touche à tout, qui vont aider les équipes à accoucher du meilleur projet possible en les aidant sans brider leur créativité.L'édito fait du macro-management : il s'occupe du planning et du budget, mais il est aussi partie prenante dans le processus créatif. Chaque projet chez Ubi se voit ainsi assigné un game designer de l'édito (appelés là-bas "line designer") pour conseiller l'équipe tout au long du projet tout en ayant une vision globale de ce qu'il se passe par ailleurs dans la société.
Les représentants des différents studios interviewés pour l'occasion ne tarissent pas d'éloge sur l'efficacité du procédé. Ainsi, Jonathan Morin (Watch Dogs) prétend que le groupe fait passer l'intérêt créatif avant l'argent, "même s'ils sont très bons pour en faire gagner". Quant à Fredrik Rundqvist (The Division), il explique que ses conversations avec l'édito tournent principalement autour de l'innovation et la qualité de leur jeu. Et probablement de nuages en barbapapa et d'arc-en-ciels.
... Mais aussi croque-morts
La réalité est certainement plus nuancée : si l'édito chez Ubi a un rôle de guide, il a aussi droit de vie et de mort sur les projets.C'est eux qui greenlightent les prototypes de jeux ; c'est aussi eux qui pourront décider de rebooter ou d'annuler l'un d'entre eux, et ce quel que soit leur niveau de complétion. Et ils ne s'en privent pas : I am Alive est passé par les mains de DarkWorks avant d'être confié à Ubisoft Shangaï qui a quasiment tout repris de zéro ; Splinter Cell Conviction a été rebooté plusieurs fois en interne, et Rainbow Six : Patriots ne devrait plus avoir grand chose de commun avec ce que l'on a vu lors de sa dernière apparition publique, fin 2011 : il aurait changé cinq fois de directeur créatif et a été rebooté au moins une fois, et plus probablement deux. Certains ont une vie très éphémère aux yeux du grand public : Innergy, le jeu officiel de la drogue présenté à la conférence E3 de 2010 par un étrange gars aux cheveux rouges a totalement disparu de la circulation après cette présentation (ne vous en faites pas, le gars au cheveux rouges a retrouvé une place... à l'édito d'Ubisoft). Quant à Beyond Good & Evil 2...
Notez que l'on ne parle que des jeux qui ont été médiatisés avant d'être repris à zéro ou mis au placard : comme chez la plupart des gros éditeurs, une multitude de projets développés en interne n'arrive même pas à ce stade.
Forcément, un tel pouvoir de 70 personnes sur le travail de quelque 9 000 individus agace parfois en interne : il se murmure que certains producteurs à Montréal supportent assez mal ce pouvoir central de l'autre coté de l'océan, qui prend des décisions sur l'avenir de "leur" licence. Le cas d'école, c'est le départ de Patrice Desilets (directeur créatif sur Assassin's Creed) en 2010, peu après la décision d'Ubisoft d'annualiser la licence qu'il avait créée.
Reste qu'une chose est indéniable : l'édito d'Ubisoft valide des projets plus diversifiés que chez la plupart des gros éditeurs comme Child of Light, Soldats Inconnus ou From Dust. Parfois, ça passe de justesse : personne en haut lieu n'aurait misé un billet sur Just Dance durant son développement, mais comme le jeu ne coûtait pas bien cher et qu'il occupait des employés issus d'un projet annulé, ils ont laissé faire. Au final, la licence s'est révélée être un des plus gros succès de l'éditeur. Combien de petite perles ou d'énormes succès n'ont pas eu cette chance ? Le système a ses limites.