ARTICLE
Interviews Kifékoi [Les Designers] : Jonathan, Game Designer chez Eko Software
par TheCubicCat,
email
Plongez dans les coulisses du jeu vidéo avec notre série d'interviews de professionnels du milieu intitulée "Kifékoi?", révélant différents parcours, les compétences et les défis qui façonnent les différents métiers de cette industrie.
Aujourd'hui, c'est Jonathan qui nous raconte son histoire et nous parle de son métier de game designer chez Eko Software !
Aujourd'hui, c'est Jonathan qui nous raconte son histoire et nous parle de son métier de game designer chez Eko Software !
Tout d’abord, peux-tu te présenter en quelques lignes, de la manière que tu le souhaites ?
Helloooo, je m'appelle Jonathan Gabrielli, j'ai 32 ans et je vis en Île-de-France depuis toujours. Le jeu sous toutes ses formes, c'est globalement ma passion depuis tout jeune, ayant découvert l'univers par les consoles Nintendo et l'ordinateur familial. Petit, on pensait que je serais artiste vu que j'adorais dessiner. Mais ce qui me plaisait dans le dessin, c'était la liberté et la créativité, pas la technique. Je bosse dans le jeu vidéo depuis plus de huit ans et je compte bien y rester pour le moment.Comment as-tu intégré le milieu du jeu vidéo ? Quel poste occupes-tu actuellement ?
Après des études d'informatique à Paris via l'EPITA (Ecole pour l'Informatique et les Techniques Avancées), j'ai eu la chance de pouvoir me lancer dans une carrière d'ingénieur.(Image : Les locaux d'EPITA, à Paris - Source)
C'était principalement pour m'assurer un avenir puisque le jeu vidéo n'a jamais eu une bonne image. Je savais pertinemment que j'essaierais d'intégrer une entreprise de développement de jeux. J'ai donc "harcelé" pas mal de boîtes de Paris et ses environs pour trouver ma place. Après deux stages, l'un chez Cyanide Studio, puis l'autre chez Eko Software, j'ai trouvé ma petite famille chez Eko et j'y suis toujours aujourd'hui.
Au départ, j'étais assez passionné par les interfaces de jeu (don't ask...), donc j'ai commencé comme programmeur et designer UI/UX. Je n'avais pas la prétention de faire du game design, m'y étant formé de façon autodidacte. PME oblige (on était une vingtaine quand j'ai rejoint l'équipe), j'ai pu saisir des tâches et faire mes preuves en game design petit à petit, jusqu'à devenir lead game designer sur des projets qui me tiennent 100% à cœur !
Qu’est-ce qui t’a donné envie de travailler dans le milieu du jeu vidéo ? Et de faire ce métier, précisément ?
J'ai toujours pensé que créer du divertissement pour les autres était super noble. J'adore regarder des films, des humoristes ou jouer à des jeux avec des amis, donc naturellement j'ai voulu prendre part à tout ça. Avec le jeu de rôle, à la fois en tant que joueur, mais surtout en tant que maître de jeu et créateur de règles, j'ai pu prendre confiance en moi et confirmer cette idée de vouloir être le créateur qui tire les ficelles pour amuser les joueurs. Ah et oui, j'ai toujours eu une appétance pour les statistiques et les gros tableaux Excel qui permettent de décrire des mécaniques ou des contenus de jeu.Comment décrirais-tu ton métier actuel à quelqu'un qui ne travaille pas dans le milieu ?
Être concepteur de jeu (game designer) nécessite de pouvoir décrire en détails le gameplay d'un jeu, c'est-à-dire ses règles et ses mécaniques : chaque action (sauter, courir..), chaque interaction (utiliser un objet, parler à un personnage) ainsi que son contenu (compétences, objets, statistiques, niveaux...). Tout ça passe par des documents de game design, de forme variable, qui s'adressent aux programmeurs et artistes en tout genre de l'équipe. Il y a également une phase d'intégration, qui varie énormément selon les projets et les entreprises, où les game designers et notamment les level designers (une sous-branche spécialisée dans la conception de niveaux de jeu) doivent scripter l'action et les éléments de jeu directement dans celui-ci, avec les outils internes.C'est donc un métier qui intervient tout le long d'un projet, du début du développement pour établir les bases du jeu, jusqu'à sa fin où on l'adapte aux besoins de production tout en travaillant l'équilibrage (rendre le jeu agréable, cohérent et surtout fun !). Le lead game designer, c'est celui qui a la vision d'ensemble du projet et gère le travail des game designers afin que tout se déroule sans accroc, le tout en respectant les contraintes de temps et de budget établies par le chef de projet.
Peux-tu nous raconter un peu ton parcours et l'évolution de tes postes au fil du temps ?
Le game design est un métier assez "bâtard", à la fois tout le monde peut donner son avis et avoir des idées, mais en même temps rares sont ceux qui ont la patience et le talent de concevoir de bons documents précis (ou qui ont de vrais bons concepts...). De ma (courte) expérience, une grande partie des game designers rencontrés (lead compris) ont généralement un parcours d'artiste ou de programmeur à la base (comme moi), et se sont reconvertis récemment ou sur le tas. C'est effectivement un poste qui nécessite de bien connaître le milieu du jeu et les contraintes des autres métiers.Dans quel(s) studio(s) et sur quel(s) projet(s) as-tu travaillé ? Est-ce qu'il y en a un qui t'a particulièrement marqué ou qui sort du lot et, si oui, pourquoi ?
J'ai participé à la sortie de huit jeux, mais seulement la moitié en tant que game designer. Un à Cyanide Studio (Tour de France 2015), puis cinq jeux de sport à Eko Software (Handball17, Rugby18, Rugby20, Handball21 et Rugby22).Enfin, j'ai bossé sur Warhammer: Chaosbane et Welcome to ParadiZe chez Eko. Je suis aujourd'hui sur Dragonkin: The Banished. Les projets étant de plus en plus ambitieux, les temps de production s'allongent, donc les deux tiers de ma carrière sont maintenant consacrés à ces trois derniers jeux...
La première fois que j'ai pu être force de proposition et enfin écrire des documents de design, j'étais comblé. Au tout début, c'était sur des petites activités annexes des jeux de sport, avec un périmètre et un budget très serrés, puis finalement sur Warhammer: Chaosbane. Mon lead game designer et mes chefs de l'époque sont des amours qui m'ont vraiment aidé à rejoindre l'équipe de design, alors que j'avais encore du travail sur les interfaces. Forcément, mon bébé actuel (Dragonkin) est celui qui me passionne le plus vu que j'en suis responsable, mais ne dit-on pas toujours ça de notre dernier projet ? :D
Quels sont les outils (matériel, logiciels) dont tu as besoin pour travailler ?
Sur mon projet actuel, on utilise Unreal Engine, mais précédemment, Eko avait son propre moteur développé en interne. Ça n'affecte que la partie "intégration" du travail de game designer dont je parlais plus tôt, puisque je passe le plus clair de mon temps (notamment en tant que lead) sur la suite Google : Google Docs pour les documents complets, Slides pour les présentations, Sheets pour les statistiques et le suivi de contenu.Ce sont vraiment mes outils de tous les jours, avec occasionnellement de l'édition d'images (Photoshop, GIMP...) ou de graphiques (GitMind, Miro...) pour faciliter la présentation d'informations. Il est également très fréquent de regarder des vidéos de jeux, ou de jouer, dans un but analytique bien entendu... On utilise Slack comme canal de communication textuel et Discord pour les réunions avec Nacon (notre éditeur) ou les collègues en distanciel.
Niveau matériel, un ordinateur portable c'est plus pratique pour la mobilité, et un bon combo cam/micro pour les réunions, c'est tout !
Comment est-ce que tu t'insères dans le processus de création d'un jeu vidéo ?
Comme je le disais précédemment, le travail de game design intervient dès la pré-production pour poser les bases de ce que le jeu doit être et à qui il s'adresse, en collaboration avec le chef de projet et le directeur artistique. Ces trois rôles sont vraiment au cœur des choix artistiques et gameplay du projet.Pendant la production et jusqu'à la sortie, le lead game designer s'occupe de répartir, de tester et de faire des retours sur le travail des game designers, tout en mettant parfois les mains dans le cambouis comme on dit. Chez Eko, c'est le cas tous les jours vu qu'on est une toute petite équipe de design.
Travailles-tu de manière rapprochée avec d'autres corps de métier ? Si oui, lesquels ?
Je communique constamment avec à peu près tous les employés, mais plus fréquemment avec le chef de projet, le game producer (qui gère les planning et les priorités au jour le jour) et les autres leads. Je suis également présent lors des réunions avec l'édition et le marketing, avec qui nous avons des points hebdomadaires ET bimestriels.A quoi ressemble une journée de travail pour toi ?
Tous les matins, l'équipe se retrouve sur Discord pour un point journalier : chacun explique rapidement son travail de la veille, et ce qu'il prévoit de faire dans la journée. Globalement, le reste de la journée, je rédige des documents, organise des kick-offs (présentation d'un document aux collègues concernés sur un sujet précis), fais le point avec les game designers sur leurs tâches en cours ou débats avec le chef de projet et le producer du prochain sujet à mettre en priorité. Il n'y a pas trop de journée typique, c'est aussi ça qui est cool avec ce taf !Est-ce que tu joues aux jeux sur lesquels tu travailles ?
Tous les jours ! Après, c'est sûrement pas le "jouer" auquel on peut s'attendre... Si un QA tester est aussi interviewé, je pense que son avis serait encore plus négatif, mais en travaillant en tant que designer sur un jeu, on en connaît tous les défauts, les petites failles, etc. C'est dur de l'apprécier comme un joueur qui verra le produit final ! Maiiiiis, est-ce que j'y joue à la sortie ? Oui, mais moins qu'à ceux de la concurrence…Qu'est-ce que tu aimes le plus à propos de ton boulot ?
Voir un simple document, une bête idée, se transformer en quelque chose de concret. Quand je conçois un personnage avec son histoire, ses statistiques, ses compétences, et que quelques semaines plus tard il prend vie dans le jeu grâce au travail coordonné de tous (artistes, animateurs, effets spéciaux, programmeurs, son...), c'est magique ! En général, je dois superviser chaque étape avec les concernés, donc il y a moins de surprise, mais ça reste génial.Quel serait le projet ou le studio de tes rêves ?
J'aurais adoré prendre part à un projet "live" avec une longue durée de vie, comme un World of Warcraft ou un League of Legends, où on doit constamment équilibrer le jeu, renouveler l'expérience des joueurs et innover pour les surprendre. Pour beaucoup, et j'en fais partie, devenir indépendant et pouvoir vivre de plus petits projets complètement maîtrisés est le but ultime. Mais avec la tronche du marché actuel, ça paraît extrêmement compliqué aujourd'hui, il faut énormément de chance ou un talent immense !As-tu une recommandation culturelle du moment (jeu vidéo, film, musique...) ?
En jeu vidéo, si vous aimez les rogue-lites ou les univers uniques, Ravenswatch va sortir d'accès anticipé, créé par des camarades de Lyon ! (ou encore Hades II, si vous êtes passés à côté).Pas de film, mais en série : regardez absolument Arcane, c'est un chef-d'œuvre, même si on n'aime pas l'univers (avec la saison 2 qui sort bientôt !), ainsi que l'adaptation d'Uzumaki de Junji Ito qui sera probablement disponible en streaming d'ici là.
(NDLR : cette interview a été réalisée en septembre 2024, désolée pour l’anachronisme :P)
(Image : Arcane, la série créée par Fortiche (des Français !) et liée à l'univers du jeu League of Legends)
Est-ce qu’il y a quelque chose que tu souhaiterais ajouter ? Un conseil ? Un message pour nos lecteurs ?
1) Si vous êtes joueur, les développeurs vous écoutent et vous lisent ! Les messages des fans sont super importants pour nous, à condition d'être constructifs évidemment… Il faut également continuer à se battre pour avoir des jeux plus éthiques, sans sortie précipitée, contenu déplacé ou pratique malhonnête.2) Si vous souhaitez bosser dans le game design en particulier, lancez-vous et accrochez-vous ! Tout le monde peut avoir des idées, mais avec les outils comme Unity, Unreal ou Godot, il ne tient qu'à vous de les tester afin de vraiment comprendre, prendre de l'expérience voire même concrétiser des concepts. La théorie est souvent bien éloignée du réel.
Sinon, merci à toi pour cet espace et désolé pour le ton un peu sérieux, promis on rigole bien dans le milieu ! Et merci à vous de m'avoir lu jusqu'au bout :)
Si ce type d'article vous intéresse et que vous avez envie d'en lire plus, vous pouvez retrouver la liste complète des interviews sur l'article général de la série "Kifékoi".