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Interviews Kifékoi [Les Autres] : Mathieu Monsauret, ex-Producer chez Crytek
par TheCubicCat,
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Plongez dans les coulisses du jeu vidéo avec notre série d'interviews de professionnels du milieu intitulée "Kifékoi?", révélant différents parcours, les compétences et les défis qui façonnent les différents métiers de cette industrie.
Bienvenue à Mathieu Monsauret parmi nous aujourd'hui, qui vient nous raconter son aventure passée dans le milieu du jeu vidéo en tant que producer chez Ubisoft ou encore Crytek !
Bienvenue à Mathieu Monsauret parmi nous aujourd'hui, qui vient nous raconter son aventure passée dans le milieu du jeu vidéo en tant que producer chez Ubisoft ou encore Crytek !
Tout d’abord, peux-tu te présenter en quelques lignes, de la manière dont tu le souhaites ?
Salut ! Je m'appelle Mathieu Monsauret, j'ai 31 ans. Fan de volley-ball et de compétition en général. J'ai bossé dans le jeu vidéo entre 2014 et 2023, d'abord en tant que programmeur dans une boîte de jeux mobiles à Paris, puis après reconversion chef de projet chez Ubisoft Bordeaux et Crytek. En tant que chef de projet, j'ai principalement bossé sur les moteurs. D'abord sur Anvil Engine à Ubisoft, puis CRYENGINE chez Crytek.Comment as-tu intégré le milieu du jeu vidéo ? Quel poste occupes-tu actuellement ?
Pendant mon stage de 3ème dans une boîte de création de sites web (en 2007), je me suis rendu compte que ce n'était pas trop pour moi. Je me suis donc simplement posé la question de ce que j'aimais faire en général, et de si je pouvais en faire ma carrière. Les jeux vidéo sont arrivés vite, étant déjà passionné depuis que je suis gamin. J'ai simplement étudié la question à partir de là. J'ai postulé à Isart Digital à Paris mais je suis finalement rentré à l'école Créajeux à Nîmes (avec des gens qui traînent encore sur Factornews d'ailleurs !) en 2011 où j'ai passé trois ans dans la section programmation.(Image: l'intérieur des locaux de Créajeux)
De là, j'ai juste trouvé un stage dans la boîte de jeux mobiles susmentionnée et ma carrière était lancée. Je suis sorti de l'industrie l'an passé pour plusieurs raisons, notamment financières mais aussi à cause du contexte de l'industrie, qui fait que c'est une galère de trouver du boulot. Je travaille maintenant chez Samsung SDSG, la branche IT de Samsung en Allemagne. De fait, je parle dans cette interview de mes anciens postes dans le jeu vidéo, pas de mon métier actuel.
Comment décrirais-tu ton métier actuel à quelqu'un qui ne travaille pas dans le milieu ?
Mon rôle est d'être le facilitateur. Idéalement, mon travail est invisible. En tant que manager, il est préférable d'avoir une connaissance et une compréhension superficielles de tous les sujets relatifs à l'équipe plutôt qu'une expertise dans un des sujets. On est entouré d'experts et de gens qui sont spécialisés, qu'importe si on bosse avec des programmeurs, artistes, testeurs, etc.Il est important pour nous de comprendre que notre objectif, c'est de faire en sorte que tout le monde puisse se concentrer sur ses forces. Donc, les chefs de projets doivent gérer le temps, quelles personnes travaillent sur quoi à quel moment et de donner de la visibilité verticalement en donnant le statut du projet aux supérieurs et les besoins des supérieurs aux équipes, ainsi qu'horizontalement en faisant transiter les infos entre équipes, par exemple pour indiquer l'échéance à laquelle un modèle 3D sera prêt pour intégration.
C'est là qu'il devient intéressant de disposer d'un panel de chefs de projet, car ils peuvent plus facilement prendre de leur temps pour échanger les informations. Bien sûr, il est nécessaire de récupérer ces infos auprès de leurs équipes respectives, idéalement le plus efficacement possible.
Peux-tu nous donner les étapes clés de ton parcours ? As-tu une anecdote à ce sujet ?
Le tournant de ma carrière, c'est le moment où j'ai changé de métier pour devenir chef de projet. Je me suis rendu compte que je n'étais pas passionné par la programmation. En soit, je le savais déjà sur la fin de l'école, mais ayant payé environ 15k€ je me voilais la face. Au final, je ne faisais aucun effort pour m'améliorer hors du boulot, et je n'avais pas vraiment le temps de progresser au travail. Du coup, je prenais du retard sur mon niveau technique, et j'avais de fait moins envie de coder. Cercle vicieux s'il en est.J'ai quitté ma boîte sans rien avoir derrière, ce qui était très stressant, mais au bout de quelques mois, j'ai trouvé un cursus pour devenir chef de projet dans le jeu vidéo. Ça m'a donné les clés et le réseau pour recommencer ma carrière. J'ai trouvé mon poste chez Ubisoft par hasard, ayant un ami dans les groupes Facebook de l'ENJMIN, qui a vu passer une offre qui me correspondait. Et ça s'est avéré être mon premier poste en management (merci Mosphore !).
(Image : l'intérieur des nouveaux locaux d'Ubisoft Bordeaux - Source : Instagram : ubisoftbordeaux)
Peux-tu nous raconter un peu l'évolution de ton/tes poste(s) au fil du temps ?
Pour parler uniquement de ma période chef de projet, j'ai d'abord été créateur de tickets. Quand un de mes programmeurs avait besoin de pousser un changement, il lui fallait un ticket, et seuls les managers étaient habilités à les créer. C'est un système un peu bête, mais c'était ma vie au début.Au fur et à mesure, j'ai pris un peu d'expérience et j'ai pu mieux comprendre ce qui constituait ma valeur ajoutée. Avec la prise de confiance (et après avoir dépassé le syndrome de l'imposteur), j'ai pu définir des plannings plus clairs pour chaque nouvelle fonctionnalité (feature) demandée et ainsi mieux protéger l'équipe des demandes externes incessantes. C'est la réalité du travail au sein d'une équipe moteur. Toute la production a des besoins et tout est urgent pour tout le monde. Plus tard, j'ai évolué vers de la gestion de produits, où mon rôle consistait à en clarifier la vision (le produit étant en l'occurrence le CRYENGINE) et d'en être le garant. Ce que ça signifie concrètement, c'est que j'aidais à établir les fonctionnalités prioritaires à développer, puis les chefs de projets géraient la partie planification et ressources.
Dans quel(s) studio(s) et sur quel(s) projet(s) as-tu travaillé ? Est-ce qu'il y en a un qui t'a particulièrement marqué ou qui sort du lot et si oui, pourquoi ?
J'ai bossé chez Mangoo Games à Paris sur du mobile: Emoji Quiz, Music Quiz, Music Quiz Duel, Logo Quiz (quasiment tous les pays d'Europe), Puissance 4. La plupart ne sont plus en ligne et vous n'y perdrez pas grand-chose. Après mes études, je suis parti chez Ubisoft Bordeaux où j'ai contribué à Ghost Recon Breakpoint, Assassin's Creed Valhalla, Rainbow Six Extraction, Just Dance. Et enfin Crytek où j'ai indirectement bossé sur Hunt:Showdown et Crysis 4 via le moteur.Pour moi, le projet le plus marquant fut Ghost Recon Breakpoint. Non pas par sa qualité, mais parce que c'est mon premier AAA, et que j'ai eu ma meilleure équipe à ce jour. Je garde beaucoup des gens avec qui j'ai bossé à ce moment-là dans mon cœur !
As-tu travaillé pour un studio à l’étranger ? Est-ce que tu es parti vivre dans un autre pays pour travailler dans un studio ? Quels sont les différences, avantages et inconvénients à travailler dans un autre pays que la France, dans le domaine du jeu vidéo ?
Oui, chez Crytek, qui est basé à Francfort en Allemagne. Je suis parti de Bordeaux et de France pour les rejoindre. Au final, ça n'a pas été si dur de m'intégrer car la ville est le coeur de la finance européenne. Beaucoup de gens parlent de fait anglais !Niveau rémunération dans le jeu vidéo, l'Allemagne n'est pas trop différente de la France. L'imposition est aussi sensiblement la même. Pas trop de choc culturel de ce côté-là donc. Par contre, je pensais que l'administration Française était mauvaise... J'en suis revenu depuis que j'ai vu la version allemande ! Vraiment, tout passe par le papier et la poste, c'est un enfer.
Pour parler du studio en soi, la langue de travail est l'anglais, là où chez Ubisoft on utilisait le français à 90% malgré la présence d'internationaux, notamment dans les chaînes d'e-mails (qu'on veut en général garder en anglais, au cas où un transfert serait nécessaire). Le plus gros changement est la mentalité expat dans laquelle j'ai baignée. Le studio étant réparti aux alentours de 50-50 entre Allemands et expats (contre 80-20 chez Ubisoft), j'ai été directement inclus avec des gens qui comprennent les galères du début dans un nouveau pays, au niveau administratif notamment, mais aussi du point de vue des mœurs.
Quels sont les outils (matériel, logiciels) dont tu as besoin pour travailler ?
En général dans les studios AAA, on utilise Jira pour créer et suivre les tickets (fonctionnalités, bugs...). On s'en sert aussi pour faire nos diagrammes de Gantt, qui sont une visualisation du temps que prennent les tâches ainsi que leurs dépendances.(Image : un petit aperçu de Gantt)
On utilisait Confluence pour la documentation et Outlook/Teams pour la communication. Aucun des outils suscités n'est agréable, mais ils sont assez standards. Je leur préfère respectivement ClickUp, Notion (même si ce n'est pas beaucoup mieux), Gmail et Slack.
Hors pur producing (l'autre nom de la gestion de projets dans le jeu vidéo), les AAA sont très axés sur Perforce (alias P4) pour le versionnement. J'ai déjà vu Git utilisé pour faire une CI/CD (intégration continue / livraison continue) propre, mais ce n'est pas la norme, dans mon expérience. Visual Studio est assez indétrônable comme IDE (environnement de développement), mais j'ai vu passer du Rider pour le C#, notamment pour tout ce qui est outillage (tooling) ! Ah, et la Suite Office avec beaucoup de Powerpoint !
Travailles-tu de manière rapprochée avec d'autres corps de métier ? Si oui, lesquels ?
Oui, je suis obligé d'être transverse. Le jeu vidéo étant un effort collaboratif énorme, tout le monde a des dépendances avec énormément d'équipes. C'est d'autant plus vrai en travaillant sur les moteurs et l'outillage parce qu'on est au centre de la production. Personnellement, j'ai le plus d'interactions avec les programmeurs ou programmeuses en tout genre (moteur, gameplay, IA, online, audio, physique...), suivi de près par les artistes et designers tels que les environment artists, character designers, level designers, quest designers... Bien sûr, on va aussi interagir avec le département Marketing, et les corps de métiers annexes à la création vidéo-ludique comme les Ressources Humaines. L'idée est d'avoir toutes les informations nécessaires pour notre équipe, et vice versa !A quoi ressemble une journée de travail pour toi ?
Je préfère arriver plus tôt pour partir plus tôt, donc en arrivant je rattrape les infos de la veille au soir. Je réponds aux e-mails et aux messages dans le chat qui requièrent mon avis, puis je transmets les informations si nécessaire. Ensuite, ça consiste principalement à prioriser ma to-do list, bosser sur les points qu'elle contient dès que j'ai du temps entre deux meetings, et Dieu sait qu'ils ont tendance à être nombreux. C'est le prix à payer pour être synchro avec tous les autres corps de métiers et équipes. Évidemment, mes tâches varient pas mal d'un jour à l'autre, mais c'est en tout cas la base.Qu'est-ce que tu aimes le plus à propos de ton boulot ?
Pour moi, c'est de voir que ce que j'ai aidé à organiser a vraiment servi aux autres équipes. Du fait de ma position dans l'équipe Outils & Moteur, nos clients ne sont pas les joueurs finaux, mais les développeurs. Et voir qu'on a accéléré un processus et que ça leur facilite la vie au jour le jour est extrêmement gratifiant pour moi. J'aime aussi énormément être témoin de discussions entre programmeurs. Je trouve les allers-retours d'idées et de points de vue différents passionnants. Mais c'est peut-être mon passé de programmeur qui parle !Quel serait le projet ou le studio de tes rêves ?
Celui que je monterais avec les personnes avec qui j'adore bosser ! C'est pas vraiment dans les cartons, et peut-être que ça ne verra jamais le jour. Ce serait en tout cas pour moi la meilleure manière de bosser ! Pas de projet en particulier à vrai dire, je préfère laisser les idées et designs aux professionnels.Quels sont tes jeux préférés, si tu en as ? Qu'est-ce qui t'intéresse / te plaît le plus, dans les jeux vidéo, en tant que joueur ?
L'attrait principal pour moi est l'aspect compétitif et de fait j'ai tendance à graviter autour de jeux tels que Counter-Strike, Dead by Daylight ou League of Legends. J'ai récemment joué à Outer Wilds aussi. Mais je dois avouer que de ce point de vue là, je ne suis pas le joueur le plus diversifié !À quoi ressemble, selon toi, le jeu vidéo du futur du jeu vidéo ?
Franchement, je n'en ai aucune idée...As-tu une recommandation culturelle du moment (jeu vidéo, film, musique...) ?
Je vous recommande chaudement Brutus, un de mes groupes favoris du moment ! C'est léger et gras à la fois, et c'est la batteuse au chant. Que du bonheur.Est-ce qu’il y a quelque chose que tu souhaiterais ajouter ? Un conseil ? Un message pour nos lecteurs ?
J'ai deux conseils:
- Réseauter c'est chiant, personne n'aime ça, mais c'est super efficace. Plus vous connaissez de gens et gardez ces liens en vie, plus vous aurez d'opportunités.
- Ce que vous savez faire vaut plus que vos diplômes. Faites des exos, des game jams, ayez des trucs à montrer !
Si ce type d'article vous intéresse et que vous avez envie d'en lire plus, vous pouvez retrouver la liste complète des interviews sur l'article général de la série "Kifékoi".