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Un Rédacteur Factornews vous demande :

 
ARTICLE

Factor Late Week GC 2016 - Episode 4 : Seul comme un journaliste à la GDC Europe

Hell Pé par Hell Pé,  email
Mûrie en fût de chêne pendant plus de deux mois, la couverture Factornews de gamescom 2016 est enfin là. Cette couverture était plutôt ... non conventionnelle. Sa forme finale le sera aussi : chaque jour à 10h et pendant toute la semaine, nous mettrons en ligne un article issu du carnet de bord de notre envoyé spécial en Allemagne, HellPé. Lecteur, bienvenue à la Factor Late Week.

Replay : Lundi / Mardi / Mercredi.


Avant que ne démarre gamescom et son boucan d’enfer, un autre événement se déroulait au même endroit, pendant les deux premiers jours de mon séjour à Cologne : la GDC Europe, déclinaison de la Game Developers Conference qui se tient chaque année à San Francisco. Vue de loin, la GDC (en tout cas en Europe) est l’exact contraire de gamescom : réservée aux journalistes et aux professionnels qui ont pu s’acquitter du (pas donné) passe d’entrée, n’occupant qu’un dixième à peine du gigantesque Koelnmesse qu’occupait gamescom tout entier, et pratiquement dépourvue de jeux à tester ou même à regarder, la GDC Europe n’est finalement qu’un séminaire où des mesdames et messieurs de l’industrie viennent donner des petites conférences, qui dépassent rarement la demi-heure, généralement trois ou quatre en même temps, sur une durée de deux jours.
 
Et j’y étais seul.
 
Enfin, non, pas exactement : il y avait tout de même du monde à cette GDC Europe, dont pas mal de journalistes. Mais y en avait-il tant que ça ? J’ai reconnu des gens de Polygon dans la press room ; en allant voir leur page consacrée à cette GDC Europe, on y trouve un total étourdissant de trois articles, dont un sur l’usage du mot “hella” dans les dialogues de Life is Strange (comme si les gens allaient jouer en anglais à un jeu français, tssk). Je suis allé voir si ça parlait de la GDC Europe sur Jeuxvideo.com, Gamekult, Gameblog, Le Monde, Libération : que dalle. J’ai tapé “gdc europe 2016” dans Google en choisissant dans les options de recherche “Pays : France” : que dalle. J’ai regardé autour de moi passer les badges presse portés par des Allemands, des Polonais, des Britanniques, un Belge flamand, mais aucun Français. Enfin, il y avait bien des gens, vous les avez peut-être vus passer sur mon Twitter (pour les détails croustillants je vous renvoie à ma vidéo de vacances à paraître ici même en fin de semaine), mais entre nous, on va pas se mentir, leurs blogs n’ont même pas de Tipeee, alors excusez du peu. Ainsi donc, faute d’en avoir croisé un autre, je considère être le seul "journaliste" de l’Hexagone présent à la GDC Europe 2016. Le seul.
 

 
J’aurai pu balancer n’importe quoi à Factor, vous raconter que j’ai passé deux heures à parler cinéma et cuisson d'œufs dans l’urine avec Rami Ismaïl (ça c’est vrai), que j’ai vu un type en tabasser un autre alors qu’il avait la jambe dans le plâtre (c’est plus ou moins vrai), que j’ai publiquement humilié John Romero en demandant devant une centaine de personnes s’il allait rendre Daikatana open source (ça je l’ai pas fait), ou alors que j’ai coincé un mec dans les toilettes et que sous la menace d’un cran d’arrêt qui a fait la guerre d’Algérie, il m’a montré en exclusivité une build jouable de Half-Life 3 (et ça c’est arrivé à votre avis ?) ; aucun journaliste français n’aurait pu me contredire, ou accuser Factor de bullshitter, parce qu’ils n’y étaient pas. Le pouvoir, je le détenais entre mes mains !
 
Mais soyons sérieux deux minutes. La raison pour laquelle nous étions si peu nombreux, en fin de compte, tient peut-être au fait qu’aller à la GDC ne sert à rien. C’est ce que m’ont suggéré les vrais journalistes - je ne citerais pas de nom mais Gautoz et Ivan Gaudé - quand j’ai fini par les croiser à gamescom ; c’est aussi en substance ce qu’expliquait déjà en mars dernier Garry Newman, le Garry du Garry’s Mod et papa de Rust, à propos de la GDC de San Francisco. L’argument massue, pour ce dev qui a vraisemblablement beaucoup déboursé en emmenant 20 personnes là-bas avec lui, s’applique tout à fait à la GDC européenne : les conférences sont toutes visibles sur le net, et leurs auteurs ont tous un compte Twitter sur lequel poser vos questions. Si le but de la GDC est de s’instruire, aller sur place n’apprend rien de plus que les vidéos en replay. Et si les images mouvantes vous brûlent les yeux, ou bien que vous n’avez pas envie de payer pour les vidéos les plus intéressantes (et encore, beaucoup sont gratuites), vous pouvez lire les compte-rendus de Gamasutra, site dont les propriétaires sont aussi les organisateurs de la GDC.


 
Par conséquent, puisque personne en France ne semble avoir voulu se donner cette peine, permettez-moi de vous linker ici directement les conférences de la GDC Europe que j’ai vu de mes propres yeux et que j’ai trouvé chouettes :
 
  • Le guide d’un géographe à la création de mondes vidéoludiques” : quand j’ai vu l’intitulé de cette conf’ sur le planning, j’ai cru que Kate Edwards, cartographe de métier et accessoirement directrice d’un des plus gros lobbys de l’industrie, l’IGDA, allait nous parler courbes de niveaux et strates géologiques, un peu comme les architectes qu’avait embauché Jonathan Blow pour apporter de la crédibilité au monde de The Witness. En fait, la conf’ s’est avérée beaucoup plus accessible, et vraiment enrichissante (et plus longue que les autres) : son thème était tout simplement la vraisemblance des mondes fictionnels, et comment leur représentation cartographique peut influencer la perception que le joueur a de ces mondes. Il est donc plus question ici d’univers et de contexte que de game design pur, mais on en sort la tête remplie de possibilités narratives qu’on aimerait voir plus souvent explorées dans le JV.
 
  • “Le son de Hyper Light Drifter” : Hyper Light Drifter serait 30% moins bon sans son savoureux univers sonore, qui doit énormément au talent de Disasterpeace mais aussi d’Akash Thakkar, alias le-mec-du-son-qui-n’a-pas-fait-la-musique du jeu de Heart Machine. Certes, ce que nous raconte Thakkar aurait pu tenir dans un article making-of de n’importe quel site spécialisé - et d’ailleurs, Thakkar s’était déjà étendu sur le sujet en 2014 pendant le développement du jeu. Il n’empêche que son enthousiasme était particulièrement contagieux, et le voir expliquer comment il a enregistré le ronronnement de son frigo avec un stéthoscope, ou bien utilisé un magnétophone à fil des années 1950 pour donner sa voix aux monstres du jeu m’a tout de même collé quelques frissons.
 
  • “Les jeux de stratégie et le niveau opérationnel de la guerre” : manque de bol, celle-ci est payante, mais je vais la spoiler pour vous : Guy Ulmer, ancien modder de Command & Conquer Alerte Rouge (et aujourd’hui dans le jeu mobile), applique la théorie US des “niveaux de la guerre” aux jeux de stratégie. Concrètement, ça donne un petit tableau - j’adore les petits tableaux - à deux colonnes “Défense” et “Attaque”, et trois lignes “Stratégique”, “Opérationnel” et “Tactique”, qui sont les trois “niveaux de la guerre”, donc. Dans la première colonne se trouvent respectivement le base building, l’économie et les dispositifs défensifs, tandis que dans la seconde figurent le choix du plan, la gestion high level et enfin le micro-management. Maintenant, amusez-vous à entourer les cases qu’on retrouve dans votre sous-genre de jeu de stratégie préféré - les 4X, les god games, les tacticals… - et pour la suite, voyez avec Ze_PilOt qui a probablement déjà testé toutes les combinaisons possibles dans sa tête, dix fois. La révélation de cette conf’ : les MOBA ne sont pas des jeux de stratégie, puisqu’ils ne concernent qu’une seule case de notre petit tableau, si vous avez bien suivi vous savez laquelle, ça vous la coupe hein ?
 
  • “Qui a besoin de diversité ? Tout le monde !” (seuls les slides sont gratuits) : le sujet est loin d’être révolutionnaire, mais je me dois de relever ici quelques petites phrases prononcées à cette conférence, certaines par mon nouvel héros Sos Sosowski :
    • “Pour un habitant d’Amérique latine, partir à la GDC, ça coûte deux mois de salaire”
    • “En jouant à Wolfenstein, j’ai immédiatement remarqué que les toilettes du château allemand utilisaient des robinets américains”
    • “Je peux deviner le pays d’origine d’un jeu rien qu’en me basant sur son tutoriel”
    • “Il existe des studios de JV africains, mais il semblerait que les seuls jeux qu’ils font parlent de héros américains et de pénis”
    • “Pour moi, The Witcher est la représentation par excellence de la société polonaise : dans TW, vous incarnez l’exclu, le paria, vous êtes l’individu différent - et ça se vend bien quand même”
 
  • l’European Innovative Games Showcase : pendant une heure, dix développeurs (parmi lesquels Accidental Queens que j'interviewe dans l'épisode 6 de la Factor Late Week) se sont relayés pour parler de leur jeu pendant dix minutes. Le but de l’exercice étant de ne pas se limiter à une simple pitch mais à discuter brièvement d’un aspect particulier du développement de chaque titre. Il se trouve que les rigolos de Crows Crows Crows (Dr. Langeskov) n’ont pas daigné fournir cet effort et ont préféré casser la GDC en faisant n’importe quoi. Ça commence à 41:09 et je dois avoir que ça m’a fait beaucoup rire sur le coup, même si j’ai eu un peu de peine pour Veve Jaffa (Shoot to Kill) qui remarqua fort à propos : “c’est trop injuste de passer après ça”.
 
  • Nuclear Throne : le développement de JV performatif en rétrospective” : Vous le saviez peut-être déjà, mais Vlambeer ne s’est pas contenté de développer Nuclear Throne : ils ont carrément rediffusé le processus de création en direct sur Twitch, deux fois par semaine environ, sur une période de deux ans et demi. C’est ce que Rami Ismaïl appelle le “performative game development”, expression barbare que j’hésite à simplement traduire “le développement comme performance”, ou encore, “le développement comme un contenu à part entière que le public peut consommer” (ça c’est la définition qu’Ismaïl en fait). Sur le papier, c’est une idée de génie : Nuclear Throne étant en accès anticipé pendant tout ce temps, vous pouviez vous caler devant Twitch, regarder le développeur suer sang et eau tout en trollant sur le chan, avant de télécharger la mise à jour hebdomadaire et de tester ce que vous veniez de voir streamé. En pratique, “il s’est avéré que le livestream, c’est difficile”, et Ismaïl revient dans sa conf’ sur les diverses façons que son équipe et lui ont trouvées pour animer leur stream et en faire un bon outil de promotion. L’idée sous-jacente, évidemment : vous pouvez le faire vous-même.
 
  • “Construire une communauté locale de devs indépendants” : Sos Sosowski (McPixel, Mosh Pit Simulator) raconte comment en cinq ans à peine, la scène JV polonaise s’est construite en partant de rien jusqu’à devenir une des plus dynamiques d’Europe, où les indés et les AAA se côtoient “sans discrimination”. Malheureusement, la conférence reste assez superficielle et se borne à raconter comment chaque événement s’est succédé à un autre : en filigrane, on comprend que c’est l’obstination des différents organisateurs qui a aidé la scène à se constituer, en s'efforçant de réunir physiquement ses membres le plus souvent possible.
 
J’ai conclu cette liste (qui omet quelques conférences un peu oubliables, telles “John Romero raconte sa vie” ou “un scénariste de Pixar vous répète ce que vous avez déjà lu dix fois sur les scénarios des Pixar”) par la conf’ de Sosowski, qui est en fait la première à laquelle j’ai assisté, à l’ouverture de la GDC Europe, ce matin du lundi 15 août 2016. C’était la première fois que je mettais les pieds à un événement de ce style. Eh bien, contrairement à la foire qu’est gamescom, et en dépit de ce que les journalistes ou Garry Newman peuvent en penser, j’y retournerais volontiers, à cette GDC. Car même si les conférences ne sont pas toutes chouettes, même si vous n’avez pas besoin de moi pour les voir, même si ça ne transparaît pas à travers mon piètre boulot de reporting, et même si ça coûte hyper cher de s’héberger à Cologne à cette période de l’année, la GDC Europe est surtout intéressante pour les rencontres que l’on y fait. On peut en faire ailleurs, c’est sûr ; c’est même préférable pour tous ceux qui ne peuvent se permettre ce luxe financier sans être subventionnés ; au hasard, à dix minutes à pied du Koelnmesse, où se tenait une contre-GDC nommée Respawn où les conférences étaient données simultanément dans la même pièce, et nécessitaient un casque Bluetooth pour être écoutées. Mais l’expérience du contact humain ne doit pas être dévaluée, et celle que j’ai vécu à Cologne, parmi des devs de tous pays et de toutes affinités, était grisante. J’ignore encore si elle aura été aussi stimulante, pour ceux qui ont eu la chance d’y être, qu’elle l’aura été lors des game jams, salons et expos que relate la conférence de Sos Sosowski et qui ont contribué à faire prospérer la scène polonaise. Mais de mon point de vue de simple passager, rien que pour voir tous ces gens, ça valait le coup ; en fin de compte, à cette GDC, jamais je ne me suis senti seul.
 
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