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Décryptage : Fez

kimo par kimo,  email
 
Fez est maintenant sorti depuis pas mal de temps sur le XBL. Pour ceux qui ont dormi sous un rocher, c'est un jeu 2D situé entre Echocromeet Mario Paper dont la particularité de gameplayréside dans la possibilité de faire pivoter un décor comme un cube géant pour progresser. Il s’agit d’un excellent jeu et la version PC, en corrigeant globalement les problèmes de framerateet d’instabilité, nous livre enfin le niveau de finition attendu. Mais cette ressortie tardive est aussi l’occasion de s’interroger sur une tendance de ces dernières années, chez les développeurs indépendants, à porter un regard rétrospectif sur le plateformer.


Entre hommage et commentaire, héritage et modernisation, toute réflexion sur ces jeux nous invite à placer notre regard depuis ce passé qu’ils évoquent. Et il faut bien le dire, ce dispositif semble souvent, via un maniérisme formel agaçant, être une exploitation - au mieux naïve, au pire cynique - d’une nostalgie de gamer. Pourtant, s’y joue aussi parfois un désir réel de retourner à des grammaires que les avancées techniques ont fait disparaître. Alors seulement, ce retour s’impose non plus comme mélancolie vaine, mais bien comme une pensée approfondie sur le sens et la forme du plateformer, qui, pour schématiser, pourrait se scinder en deux catégories.

D’abord des jeux embrassant directement la notion de skill. De VVVVVV à Super Meat Boy (et dans une certaine mesure, BIT.TRIP Runner, bien que le cas soit plus particulier), ceux-ci tendent à déconstruire ce qui constituait habituellement l’unité d’un niveau classique - une série d’obstacle avec des passages critiques - qui forçait le joueur à recommencer la section entière jusqu’à l’avoir mémorisée ou en avoir intériorisé les compétences. A ce principe, ces jeux substituent celui de micro-challenge, qui consiste à diviser cette continuité en la découpant en une série de courtes séquences extrêmement difficiles. En condensant ainsi la difficulté, pas un saut, pas un niveau ne peut se passer sans mourir. Le joueur est ainsi directement mis face à la nécessité d’apprentissage d’un skillaussi impressionnant qu’inutile et éphémère, puisqu’il faudra tout recommencer sur le niveau d’après. La mort n’est ici même plus un obstacle, puisqu’il s’agit moins de finir un jeu entier que de réussir la séquence : seule la maitrise ponctuelle importe et on joue avant tout pour la beauté du geste. Façon de compiler et d’intensifier ce qui constitue le vécu du joueur, qui se souvient autant de la frustration provoquée par ces passages ardus que de l’euphorique émerveillement face à sa miraculeuse réussite. Car celle-ci n’est rendue possible que par l’assimilation progressive et inconsciente d’une forme de virtuosité qui le dépasse et n’éclate que dans le succès. Question de rythme, de vitesse, voire même de la sensation physique du contrôleur dans la main : le joueur sent le niveau plus qu’il n’y pense et ce n’est plus l’intelligence qui joue – penser nous ralentirait - mais bien la perception.

De l’autre côté du spectre réflexif, se tiennent des jeux qui s’attachent quant à eux à déconstruire la structure même des niveaux, renvoyant du même coup la nécessité technique du jouer au second plan des préoccupations du joueur. Ce sont d’ailleurs généralement des plateformerà tendance puzzle game qui privilégient donc une temporalité plus longue et sereine et une expérience de jeu plus unie. Leur but tient non plus dans la perfection du geste, mais dans celle de la compréhension du level design. Un exemple éloquent de cette conception se trouve dans Braid. Ici, le niveau est un écoulement continu, une étrange chorégraphie millimétrée de temps et de déplacement que le joueur peut manipuler et avec laquelle il doit savoir se synchroniser. Son rôle pourrait se résumer à deux idées : s’insérer dans la matière et le flux du jeu, y pénétrer par des interstices spécialement conçues pour lui par le gameplayet le level design.

On voit bien alors la différence significative de ces deux méthodes : dans un cas une lutte viscérale contre le jeu, où l’horizon du joueur est limité à l’urgence du prochain saut, et dans l’autre, un passage à la réflexion, qui nécessite de prendre de la distance, de comprendre le fonctionnement total d’un niveau afin, non plus de lutter, mais de prendre place dans sa mécanique parfaitement huilée.


Fez se situe bien sûr dans la deuxième catégorie. Tout comme Braid, il propose une forme de relecture des interstices. Mais là où ce dernier permettait de manipuler le temps, de l’arrêter et de l’étendre, transformant une invisible milliseconde en une étendue infinie de jeu, Fez lui déplie l’espace et la perspective. Il joue bien lui aussi sur l’imperceptible : là où il n’y a rien d’autre qu’une ligne se trouve soudain un plan entier, une nouvelle dimension à explorer. Encore une fois, la linéarité du niveau classique a été remise en cause et un nouvel espace de jeu a ainsi été ouvert. Il s’agit alors de décortiquer chaque niveau jusqu’à ses moindres arrêtes pour pouvoir progresser.

Dans les plis du niveau se cachait donc, depuis toujours, un nouveau plan. En pliant et dépliant cet espace, comme on le ferait avec une carte, apparaissent ou disparaissent routes, raccourcis et paysages, permettant au joueur d’assembler et de parcourir enfin la totalité de l’espace. Mais au-delà de cette progression, se joue avant tout un parcours de la connaissance, du voir et du dévoiler (penser aux blocs invisibles dans la section sous la pluie). La New Game + ne fournit d’ailleurs pas tant une palette de nouvelles capacités qu’un pouvoir de vision : des lunettes lui permettant de voir à la 1ère personne luttant un peu plus contre l’invisible arbitraire de la 2D.

C’est que la logique de Fez repose avant tout sur ce jeu entre l’invisible et le visible. Le jeu impose la nécessité d’analyser le moindre recoin de chaque niveau, les moindres articulations. Pour cela, il rationalise l’espace, le découpe en micro-unité pour en permettre une analyse quasi-microscopique, voire astronomique, par-delà le simple regard (illustré par la fin, qui lie le macro et le micro, mais aussi à la présence de l’observatoire). Le découpage de la carte, rappelle ainsi un code ADN, ou une carte stellaire, dont il faudrait examiner chaque atome, chaque étoile. Chacune de ces cellules devant être soumise au regard jusqu’à épuisement de ses couches visibles mais aussi secrètes (le % de complétion du jeu dépasse d'ailleurs amplement 100%). Le joueur se transforme alors en archéologue, il ne suffit plus de dévoiler mais de traduire, de déchiffrer. Car les niveaux eux-mêmes ne se rendent entièrement visibles que pour se montrer comme des espaces d’inscriptions énigmatiques. Ils sont parsemés de codes, de dessins, de langages incompréhensibles que le joueur est invité à comprendre, s’il le peut.


A ce rationalisme empirique du voir, s’ajoute alors une autre forme scientifique, forme abstraite du savoir cette fois : les mathématiques – algébrique et géométrique – par le biais de la cryptologie. Seule la compréhension des trois langages codés (tetronimo, numéraire et alphabétique) permettra au joueur de compléter le jeu. La connaissance visuelle doit s’articuler avec une connaissance intellectuelle du symbole. Pour progresser, il s’agit autant de déplier la carte, qu’est l’espace, que d’en comprendre les codes.

Reste alors une question fondamentale qui, en un sens crée une ligne de démarcation nette entre Braid et Fez. Dans Braid le puzzle lui-même était métaphorique. Il n’offrait aucune clé définitive du savoir, mais plutôt un réseau de symbole, littéralement une image à assembler (les puzzles présents dans le jeu) nécessitant une interprétation libre de la part du joueur. Fez quant à lui possède l’arrogance de sa propre intelligence, qu’il ne cesse d’afficher partout. Il livre le joueur en pâture à des significations cachées mais totalement arbitraires et unilatérales, détruisant ainsi ses possibilités imaginaires. C’est la différence entre décrypter et interpréter. Là où le sens de l’énigme Braid se construit entre l’objet et le joueur, Fez est collé à son propre système de sens. Il doit distribuer indices et outils pour que le joueur puisse assimiler son vocabulaire : dictionnaires camouflés que sont les artefacts, la salle de classe ou la Pierre de Rosette (on ne saurait faire plus significatif). Les non-anglophones sont d’ailleurs d’office exclus de l’aventure : ils ne pourront jamais percer le système alphabétique.

Au-delà d’une forme de négation du joueur, la seule récompense du jeu semble être sa propre résolution. Le dépeçage intellectuel de chaque niveau n’apportant finalement rien de plus que la satisfaction de connaitre la clé du secret. Véritable monstre panoptique du sens, Fez ne livre au joueur rien d’autre qu’une poignée de signes décryptés, puzzle sans imaginaire, préférant le rationalisme astronomique à l’astrologie. La question du geste n’y est du coup jamais enchantée d’un quelconque sens opaque ou mystérieux, comme ont pu le faire d’autres jeux (Sword & Sorcery ou l’étonnant Vesper 5). Ni vestige ni ruine, Fez méprise l’archéologie de l’absence au profit d’un positivisme sans concession, perçant jusqu’au mystère mathématique du moindre pixel – la 2D passée au crible du voxel. Un jeu brillant et sans conteste une grande réussite de gameplay, mais qui, comme tout objet de pure intelligence parait parfois froid et peu aimable.
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