TEST
The Wolf Among us
Après l’énorme succès de The Walking Dead, une grosse pression pèse sur les épaules de Telltales, rare studio a avoir su adapter formellement et économiquement la forme épisodique au jeu vidéo. Consolidant son savoir-faire de jeu en jeu (depuis ses médiocres débuts jusqu'aux plus acceptables Sam & Max) la sortie de The Wolf Among us permet de tester l’expérience du studio sur un nouveau projet avant de revenir sur sa série phare. Mais le jeu est-il à la hauteur de nos attentes ?
Who let the wolf out ?
L’histoire du jeu, dont on ne dira que peu de choses, se tient à l’écart du comic (même s’il fait parti du canon) puisque le jeu se déroule 20 ans plus tôt. Ceux qui ne connaissent rien du matériel original pourront donc suivre le jeu sans aucun problème, celui-ci lui constituant même une très bonne introduction. Fables raconte la vie de personnages féériques ayant été forcé de venir vivre dans notre univers. Une société parallèle s’est établie dans notre monde basée sur des règles très strictes visant à rester hors de vue des mundies (les gens normaux). Obligés de s’accommoder des conventions du monde réel et confrontés à des vices inexistants dans le leur, certains fablesen profitent tandis que d’autres sont victimes de la pauvreté et du crime, transformant un rêve américain à peine camouflé en expérience amère et douloureuse. En tant que joueur, vous incarnez donc Bigby Wolf, ancien loup de conte de fée reconverti en responsable du maintien de l’ordre. Un poste à haute responsabilité mais qui vous vaudra peu de gratification.
Noir c'est noir
Si The Wolf Among us reste pour l’instant assez discret sur les enjeux réels de sa narration, on peut déjà dire que la violence a changé de nature depuis The Walking Dead. Plus sordide et complexe, elle s’attache à une part de nous plus dérangeante (Among Us). C’est que le jeu, comme le comic, conjugue deux niveaux de violence. Il s’ancre dans le pessimisme existentiel et la violence désenchantée du roman noir et de sa faune (privés véreux, prostitués, corruption du pouvoir), tout en important la violence symbolique du conte dans le réel. On ne peut pas dire que cette confrontation rude à la réalité aille bien aux personnages, qui, se découvrant soudain une psychologie, doivent assumer leurs actes fictifs comme de vrais crimes, passant du statut de personnage à celui de psychopathes, de coupable ou de victimes. Le joueur croisera donc une galerie de personnages névrosés et borderlines et aura lui aussi l’occasion de céder à ses pulsions naturelles ou non, selon ses choix.
Pour donner corps à ce grand bain noir, Telltale a mis les bouchées doubles. Visuellement, le jeu est bien plus cohérent que The Walking Dead. Les environnements sont mieux pensés, ce qui permet d'en compenser les limitations techniques, mais surtout, c’est le style qui s’est nettement affirmé pour donner un cachet très particulier à la série. Couleurs saturées, contrastes et jeux d’ombres viennent affirmer une tendance roman noir particulièrement réussie. L’ambiance bénéficie énormément de cette patte graphique très marquée. Peut-être parce que l’univers du comic original se prête mieux que celui de The Walking Dead à ce style cartoon, l’impact graphique du noir et blanc de ce dernier disparaissant partiellement dans l’univers pastel du jeu. En tirant formellement Fables vers Dick Tracy, Telltale donne un caractère propre à renforcer la noirceur de son histoire originale, se démarquant sans le trahir du comic, comme sous la forme d’un spin-off. L’aspect cell-shading et une animation qui semble un poil plus travaillée permettent alors de donner corps à des personnages fabuleux tout bonnement excellents qui sont en plus parfaitement interprétés, ce qui ne gâche rien.
Cute QTE
Bien sûr, The Wolf Among us ne dépaysera pas le joueur de The Walking Dead puisqu’il en reprend la plupart des mécanismes, quoique un peu plus axé action sur ce premier épisode. Soit QTE dans des phases d'actions bien difficiles à rater, énigmes transparentes et déplacement à la truelle lors des phases de recherches. A mi-chemin entre une jouabilité souris-clavier et manette, tout ça est imprécis, surtout quand il faut jouer avec les angles de caméra. Les dialogues quant à eux fonctionnent toujours sur la logique de temps limité, et même si l’histoire ne devrait pas fondamentalement changer selon nos choix, le premier épisode permet d’ors et déjà d’imprimer notre personnalité au récit. Petit truc impardonnable à ce propos, l'impossibilité de désactiver les notifications concernant vos relations avec les personnages, ce qui a la fâcheuse tendance à mettre à nue les conséquences de vos choix avant même qu'elles n'influent le récit. S’il n'y a pas grand chose de neuf, quelques soucis techniques ont heureusement été corrigés (pas de saccades dans les cut-scenes), mais ça reste un jeu Telltale avec tout ce que ça signifie de bon comme de mauvais. Si vous n’avez pas aimé The Walking Dead, autant dire que vous pouvez passer votre chemin.
Après être passé par des licences de série et de jeu vidéo, il semble que la collaboration avec le monde du comic convienne parfaitement à Telltale, qui y trouve le moyen de s’émanciper esthétiquement tout en faisant prospérer son modèle de distribution. Difficile de dire si The Wolf Among us sera aussi marquant que The Walking Dead pour le moment, mais il avance déjà avec de sacrées qualités. Pour peu qu’on sache faire impasse sur ses limitations techniques, la nouvelle série de Telltale risque bien de nous faire attendre chaque épisode avec impatience.