Experience 112
Un jeu « Patrick Balkany approved »...
L’idée est réellement séduisante et originale, mais alors qu’elle fonctionnait très bien avec In memoriam, elle est nettement moins convaincante dans eXperience 112, principalement à cause de son gameplay.
Le principe du jeu, vous en avez tous entendu parler : on se retrouve aux commandes de la cabine de surveillance d’un cargo abandonné, et dans cette position de Big Brother omniscient on a accès à toutes les caméras du bateau, les éclairages et les appareils qu’on peut commander à distance, les dossiers de chacun des anciens occupants du navire que l’on peut consulter sans vergogne (ils sont tous morts de toutes façons). Une seule survivante à bord, une jeune femme qui nous demande de l’aide pour ouvrir les portes, allumer les lumières, trouver la dope dont elle a besoin, et l’aider à progresser dans ce bateau qu’elle découvre totalement ravagé à son réveil. Elle ne sait pas ce qui s’est passé, et nous non plus.
... au gameplay inabouti
Le gameplay, donc, aurait pu être vraiment innovant si Lexis avait poussé son concept jusqu’au bout : on est derrière nos caméras ; la nénette dans le bateau a besoin de nous, chacun agit indépendamment de l’autre et accepte parfois de se porter de l’aide mutuellement. Un vrai dialogue, une complémentarité et une interactivité réelles se seraient installés. Ca aurait pu donner lieu à des trucs marrants et corser la difficulté : on voudrait accéder à l’ordinateur de quelqu’un, mais elle refuse de nous en donner les codes, elle se pose des questions, on lui trouve des réponses auxquelles elle n’a jamais eu accès, etc.
Mais en réalité, dans les faits, il n’y pas vraiment de dichotomie entre elle et nous : elle ne va que là où on lui indique d’aller, arrivée devant une porte elle attend avant qu’on lui signale d’entrer, en gros, elle est une espèce de zombie, qui obéit à nos directives, sans aucune volonté propre. Elle nous donne bien quelques conseils et on lui trouve bien quelques codes, mais ça ne va pas plus loin. Et donc finalement, le semblant de réalisme qu’a voulu introduire Lexis ici reste extrêmement artificiel, puisque pour ma part je n’ai pas vu beaucoup de différences avec un personnage que l’on incarnerait directement dans tout autre jeu : dans les deux cas, le personnage ne fait que ce qu’on lui dit de faire.
Trop de bugs
Autre grosse, grosse déception, les très nombreuses imperfections techniques du jeu.
Déjà, les graphismes ne sont pas fameux. Bon, je veux bien comprendre qu’on ne voie tout qu’au travers de caméras de surveillance, ce qui justifie que les images ne soient pas magnifiques, m’enfin bon, tout de même, les orteils de la fille coupés à la hache, c’est franchement dépassé aujourd’hui.
En plus, quand au bout d’une heure de jeu, toutes les images commencent à se zébrer au point d’en être illisibles, et qu’il faut alors quitter le jeu pour le relancer, c’est pas acceptable. Sans compter les bugs de mécanismes du jeu, quand la fille refuse de passer une porte grande ouverte devant elle, ou refuse d’avancer plus loin dans une pièce, empêchant de trouver un objet essentiel à la progression, etc.
Et enfin, le top du top, la souris qui lague, et ce, tout au long du jeu, obligeant à ne garder qu’une seule fenêtre (de caméra) ouverte, sous peine d’être incapable de pouvoir cliquer avec précision. Une telle inertie de la souris dans un point ‘n click sur un PC normalement constitué, c’est quand même un comble, et si ce n’était mon affection virtuelle pour Eric Viennot, je parlerais même de foutage de gueule.
mais un excellent scenario
Malgré tout cela, eXperience 112 est bien.
Comment donc, malgré le pétard mouillé du gameplay, les images pourries et tous les bugs ?
Oui, car le scenario est inventif, extrêmement original, captivant et surtout, les énigmes ne sont pas couillonnes et débiles, mais sensées, rationnelles, justifiées, et raisonnables. On ne nous demande pas de poser le doigt sur une partie bien précise – mais invisible- d’un mur pour faire s’ouvrir une cavité cachée recélant un canari en peluche qu’on offrira à la fille du jardinier pour qu’elle nous dise ce qu’elle a vu cette nuit-là. Ici, les actions s’enchaînent logiquement, sans détours inutiles et factices, et les solutions qu’on doit trouver ne sont pas extravagantes mais cohérentes et réalistes.
Bon évidemment, on ne coupe pas à cette maudite linéarité qui nous empêche parfois de faire certaines choses ou d’entrer dans certaines pièces tant qu’on n’a pas fait une action particulière avant, et on n’évite pas non plus de fastidieux allers-retours entre le point A et le point B - et Dieu sait qu’ils sont longs vu que la nénette se traîne comme une limace.
On ne peut pas nier non plus que cette richesse du scenario soit parfois un peu bâclée, notamment dans les échanges mail des gens qu’on lit après coup dans leurs dossiers, et qui sont censés nous en apprendre long à la fois sur les activités menées sur le bateau, et sur les tensions ayant existé entre les scientifiques qui y étaient cloîtrés :
- « Monsieur Machin, je sais ce que vous faites aux cobayes, c’est inadmissible et inacceptable de la part de scientifiques tels que nous, arrêtez tout de suite où je vous dénonce au grand chef ! »
- « Ah ah ah cocotte je m’en fous de tes menaces, tu n’as pas de preuves. »
- « Vous être ignoble et je vous déteste, méfiez-vous car je vous ai à l’oeil ! »
... et je caricature à peine. Un peu de subtilité n’aurait pas été de trop.
Mais il n’en reste pas moins que cette idée d’un cargo abandonné dans lequel se seraient passées des choses louches, ce monde inconnu aux créatures ancestrales, étudiées en secret par des scientifiques sous protection militaire, est très intrigante et reste le moteur de notre envie de progresser et d’en apprendre davantage. Une fois encore, Lexis fait preuve d’une imagination rare qui nous embarque dans une histoire captivante, comme très peu de jeux nous en offrent. (D’ailleurs à ce sujet, légère digression : c’est marrant qu’il y ait deux jeux, bien que très différents, qui sortent coup sur coup et concernent un peu les mêmes thèmes : monde sous-marin pour les deux, expériences scientifiques bizarres sur le corps humain, retour en arrière dans le temps, Adam et Eve chez Bioshock, Edehn dans eXperience 112 ...)
Et finalement, cette idée qu’on n’incarne pas le personnage à l’écran, échoue dans le gameplay mais est un coup de maître réussi dans le scenario. La cinématique du tout début nous donne l’impression qu’on est un promeneur égaré dans les calanques de Marseille qui grimpe sur le cargo échoué qu’il vient de découvrir. Mais au fil du jeu le doute s’instille et on se rend compte que ce n’est peut-être pas si simple : c'est notre propre identité qui devient l’enjeu de l’enquête.
Faire enquêter le joueur sur lui-même, quelle meilleure idée pour une implication complète dans le jeu ? Et pour ça, Lexis, chapeau bas !